Contribution à la Campagne Présidentielle - Avril 2017

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 16 avril 2017
QUE FAIRE ?


Contributions d’experts indépendants, ayant exercé des responsabilités dans plusieurs cabinets ministériels de droite, du centre et de gauche, réunis autour d’Edith Cresson

Ces propositions, visant à enrichir le programme du candidat d'En Marche ! sont ciblées sur les domaines d'expertise des membres du groupe


I.  Améliorer durablement la compétitivité des entreprises, notamment dans l’industrie. 6
















I. Pour un dictionnaire du « Français universel »


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A. UN NOUVEL ESSOR INDUSTRIEL ET UNE SOCIETE DE LA CONNAISSANCE AU SERVICE DE LA COMPETITIVITE

La liste des fleurons français perdus est longue : Pechiney, Arcelor, Alcatel, Alstom, Adwen[1], Norbert Dentressangle, PSA, Club Méditerranée, STX… Certaines alliances, fondées sur un projet industriel sérieux peuvent se comprendre (PSA redressé et en passe de conquérir Opel, par exemple), mais d’autres auraient dû être refusés ou mieux négociés.
Autre signe caractéristique du décrochage industriel, le solde des échanges commerciaux de la France enregistre, depuis 1980, une érosion régulière de ses parts de marché : 3,8 % en 2010 contre 6,0 % en 1980 ; il en est de même au sein de la zone euro : de 17 % en 1998 à 13 % en 2010. Seules la crise financière de 2008 et celle des dettes souveraines de 2010 ont permis une prise de conscience sur le manque de compétitivité de l’industrie française et la désindustrialisation.
Confrontée à des dumpings sociaux, fiscaux et environnementaux exacerbés par une ouverture de plus en plus accentuée, l’économie française ne peut plus recourir à des pis-aller tels que la dévaluation ou à des mécanismes de « préférence nationale », interdits par les règles européennes et suicidaires pour une économie qui, malgré son déficit, reste un des exportateurs majeurs dans le monde.
Et pourtant la France a enregistré depuis 2008 l’équivalent d’une dévaluation, pour ce qui concerne ses échanges en dollars. Alors que l’euro était à son maximum par rapport au dollar en 2008, à 1,599$, ou encore en 2011, à 1,488$, ou encore en 2014, à 1,395$, le niveau de 2017 à 1,04-1,05 n’a pas permis d’enregistrer une amélioration notable de la balance commerciale, et malgré la baisse de la facture énergétique. Plusieurs idées ont été avancées pour renforcer la compétitivité de notre industrie, par exemple « l’Alliance - industrie du futur », créée avec l’ambition d’une relance industrielle s’appuyant sur l’innovation et la recherche des produits de demain, autour de trois intuitions : créer un choc de compétitivité sur toute la chaine de valeur des entreprises industrielles ; les impliquer davantage dans les évolutions majeures liées aux nouvelles technologies ; se positionner à l’intersection des industries de l’offre (robot, automatique, etc.) et de la demande (alimentaire, ferroviaire, etc.). Ce sont des pistes qu’il faudra poursuivre, afin de créer une industrie 4.0 réellement compétitive.
Mais le présent chapitre s’intéresse essentiellement à l’environnement des entreprises. Il s’ouvre sur une série de propositions fiscales. En effet, un nouvel essor industriel suppose une restauration de leurs marges, notamment celles des entreprises à forte intensité de main-d’œuvre qui sont pénalisées par des prélèvements obligatoires assis essentiellement sur le travail humain. Au passage, il nous est apparu intéressant de trouver un mode pour sanctionner fiscalement les entreprises qui distribuent des rémunérations déraisonnables. Il se poursuit par un appel à introduire plus de rationalité dans la politique énergétique, dont nos entreprises sont très dépendantes.

I. Améliorer durablement la compétitivité des entreprises, notamment dans l’industrie

1. Agir sur leur environnement fiscal

Le thème de la fiscalité est largement absent du débat électoral et En Marche ! n’y fait pas exception, puisque son programme ne l’aborde guère qu’à travers l’exonération de taxe d’habitation pour les ménages les plus modestes.


Pourtant, le dernier rapport de l’OCDE démontre l’aberration du système fiscal français : nous arrivons à cumuler les titres (i) d’une des économies dont la plus grande part (plus de 56 %) est accaparée par le secteur public, (ii) des taux parmi les plus élevés de contributions obligatoires renchérissant le coût du travail et (iii) un des produits les plus faibles pour l’impôt sur le revenu, dont des tranches significatives de contribuables ont été exonérés.


a) Alléger la pression fiscale et sociale sur le travail humain

Cette proposition se décline en trois volets : (i) Sans changer le redevable qui restera l’entreprise, remplacer l’assiette des prélèvements obligatoires assise sur le nombre de salariés ou la masse salariale par une assiette assise sur la valeur ajoutée ; (ii) agir sur les taux de TVA pour transférer vers le consommateur et l’importateur une partie des charges qui continueront de peser sur l’emploi ; (iii) réhabiliter l’impôt sur le revenu progressif pour qu’il concerne tous les revenus, à partir du premier euros.


(i) Remplacer l’assiette des prélèvements obligatoires pénalisant le travail

La question de la taxation des robots est souvent posée, mais de façon biaisée pour ne pas dire démagogique. Le propos, ici, n’est pas de revenir sur les effets délétères qu’une telle taxation aurait sur l’innovation et, plus généralement, sur l’investissement.


La solution devrait plutôt passer par la suppression progressive des prélèvements obligatoires (taxes, redevances, cotisations) qui frappent spécifiquement le travail humain. Elles sont innombrables et très pesantes : sécurité sociale, allocations familiales, retraites, chômage, versement transport, taxe sur les salaires, taxes parafiscales diverses, etc. Il faudrait progressivement réduire tous ces prélèvements qui handicapent spécifiquement le travail humain.
Deux exemples concrets correspondant à des situations réelles :
-        Une employée familiale qui reçoit un salaire net de 11,50 l'heure, soit 184 € pour une durée de 16 par mois, touche 241,09 € bruts, soit 57,09 € de cotisations salariales, auxquelles il convient d'ajouter 99,90 € de cotisations patronales. Au total, donc, 156,99 € de cotisations sociales pour un salaire effectivement perçu de 184 €. N.B. : à ce niveau de salaire, les abattements jouent à plein.
-        Un cadre dont le salaire brut est de 4.195,16 €, plus 260 € en avantage en nature voiture, soit 4.455,16 €, voit son salaire net descendre à 3.051,76 €, soit un prélèvement total de 1.403,40 € (dont 357,93 € de CSG/CRDS). Si l'on ajoute 2.278,72 € de cotisations patronales, on aboutit à un total de contributions de 3.682,12 € pour une somme nette perçue par le salarié de 3.051 €.

Comment faire pour y mettre fin ?
Remplacer les cotisations sociales par la TVA peut s’envisager (cf. point 2 ci-après). L’impact sur le pouvoir d’achat peut être important et, surtout, est difficilement mesurable.
Mais la proposition explorée ici est d’une tout autre dimension.

Il ne s’agit pas de supprimer tout prélèvement au niveau des entreprises, pour ne taxer que les consommateurs. Il s’agit simplement, à niveau de prélèvement constant sur les entreprises (voire en baissant la recette globale afin d’alléger les prélèvements obligatoires notamment au niveau de la production de biens et services), d’en modifier l’assiette, c’est-à-dire la base contributive.
L’idée serait d’opérer à un transfert destiné à exonérer progressivement l’emploi salarié en tant que tel des cotisations sociales et taxes diverses, y compris le versement transport, la taxe sur les salaires et les multiples contributions fiscales et parafiscales qui existent. Ce transfert substituerait à l’assiette existante, fondée sur les salaires, une base assise sur la valeur ajoutée de l’entreprise. Ainsi, les bases de contributions assises sur le nombre d’employés ou sur le montant des salaires versés, seraient remplacées par une base fondée sur la valeur ajoutée produite.


Ce faisant, on limiterait de façon significative la pénalisation dont souffre l’emploi salarié.


Quels seront les obstacles ?
-        Techniquement, rien ne semble hors de portée. La valeur ajoutée d’une entreprise est facile à calculer. Pour celles qui sont assujetties à la TVA, elle fait l’objet d’une déclaration mensuelle ou trimestrielle (pour les TPE). Assoir sur cette base le montant des taxes et cotisations leur supprimera donc un grand nombre de formalités administratives, puisqu’on se servira d’une déclaration existante et qu’on en supprimera de nombreuses autres. Pour celles qui ne sont pas assujetties, on pourra trouver un équivalent (par exemple un pourcentage du produit net bancaire, pour les établissements financiers).
-        On peut s’attendre à une réaction négative des entreprises à forte valeur ajoutée : établissements financiers, entreprises de services, professions libérales, etc., qui se plaindront d’une atteinte à leur compétitivité et à leur capacité d’investissement, même si toutes ne sont pas soumises à la concurrence internationale. En revanche, les entreprises industrielles, dont la valeur ajoutée est en moyenne plus faible, devraient globalement en bénéficier (celles qui emploient le plus de salariés en bénéficiant le plus), comme elles avaient bénéficié, en 2009, de la réforme de la taxe professionnelle qui, déjà, prenait mieux en compte la valeur ajoutée. Mais il est vrai, c’est d’ailleurs l’objectif recherché, que les entreprises où la masse salariale est importante par rapport à la valeur produite verront leurs charges allégées, au détriment de celles où la valeur produite par emploi est la plus élevée. Une telle réforme atténuera ainsi le handicap de compétitivité dont souffre la France, en matière de coût du travail, par rapport à certains de ses voisins.
-        On se heurtera à une réticence des organisations syndicales, patronales et de salariés, qui y verront une atteinte à la « gestion paritaire », puisque la suppression de l’assiette salariale enlèverait la justification politique à cette forme de cogestion. Mais rien n’interdit de consolider, par la loi, l’obligation de dialogue social pour la gestion des prestations et des grands équilibres de la politique sociale. Quant à la perte des avantages directs ou indirects que les syndicats d’employeurs et de salariés tirent de la gestion paritaire, elle pourrait être compensée par un renforcement de la taxe pour « contribution au dialogue social », actuellement fixée à 0,016 % des salaires et dont l’assiette devra, elle aussi, être progressivement remplacée par la valeur ajoutée.
Au final, une période transitoire sera indispensable, mais sur dix à quinze ans, on pourrait procéder à cette substitution d’assiette, par tranches annuelles d’1/10ème à 1/15ème. À l’issue de cette période de transition, tous les prélèvements assis spécifiquement sur les salaires auraient disparu, supprimant la pénalisation spécifique qui pèse sur l’emploi salarié, c’est-à-dire sur le travail humain. A minima, si un transfert aussi massif faisait hésiter, devrait-on envisager de procéder à cette substitution d’assiette pour
-        l’ensemble des cotisations maladie,
-        les cotisations d’allocation familiale,
-        les cotisations chômage
-        la retraite de base, gérée par la CNAV, et le minimum vieillesse.
N’en seraient exclus que les régimes complémentaires de retraite, ce qui peut se justifier, dans la mesure où ils relèvent de la logique d’une rémunération différée et non d’un régime de base déjà ouvert à la quasi-totalité des citoyens ou qui vont le devenir. De ce point de vue, la mise en place d’un système unifié d’indemnisation du chômage et d’une unification des régimes de retraite, qui figure dans le programme d’Emmanuel Macron, devrait faciliter ce transfert progressif.


(ii) Utiliser la TVA pour réduire les cotisations sociales et patronales

/ Augmenter la TVA
Au-delà de la spécificité de cet impôt, une telle démarche viserait à mettre au point une « TVA sociale », à savoir assurer le financement d’une partie de la protection sociale par la TVA, et installer une sorte d’écluse aux frontières permettant à notre économie de faire supporter aux produits importés une part de ces coûts.


Cette hausse pourrait être fixée à 1,5 points de TVA, afin d’en limiter l’impact sur le pouvoir d’achat et se faire en deux ou trois étapes pour limiter l’effet inflationniste, même si un peu d’inflation diminuerait, à terme, la valeur nominale des dettes publiques, et faciliterait l’ajustement budgétaire.
Pour atteindre ces objectifs on devrait partager en trois parts le supplément de TVA ainsi collecté : un tiers pour la réduction du déficit, un tiers pour la baisse des cotisations patronales, un tiers pour la réduction des cotisations salariales.

/ Supprimer le taux réduit de TVA sur la restauration
A compter du 1er juillet 2009, la TVA sur la restauration, sur les ventes à consommer sur place, à l’exception des ventes de boissons alcooliques, a été réduite de 19,6 % à 5,5 %. Cette mesure a fait l’objet d’un rapport publié en novembre 2009. Le bilan n’était pas positif. Cela a conduit à remonter le taux réduit à 10 % depuis le 1er janvier 2014.


Le coût apparent de la mesure s’élève à 2,400 Md€ en 2017. En 2016, cette mesure a été la sixième dépense fiscale la plus importante, la première étant le CICE.
Si l’efficacité limité de cette mesure exige de l’abandonner, en revanche ce taux réduit de 10 % pour les activités d’aménagement et de rénovation des logements doit être maintenu. Il favorise le secteur de l’artisanat, améliore la qualité du logement, et évite le recours au travail clandestin.


De façon générale, en dehors d’exceptions comme celle qui précède, le taux réduit ne devrait pas être appliqué à d’autres produits que les produits alimentaires. Les dérogations accordées à la presse ou aux produits de santé n’ont aucune justification.
/ Instaurer des droits d’accise sur les produits de luxe.
Le retour à la TVA à 33 % est difficile eu égard à la réglementation européenne. En revanche, l’objectif recherché pourrait se réaliser par la mise en place de droits d’accise comme ceux qui ont été introduits sur les liqueurs et alcools.


b) Réhabiliter l’IR en tant qu’impôt progressif en y incluant tous les revenus, à partir du premier euro

La dernière étude de l’OCDE montre l’étendue du paradoxe français : nos prélèvements obligatoires sont parmi les plus élevés du monde, les charges qui pèsent sur l’emploi en France se situent également au sommet, mais notre impôt sur le revenu et parmi les plus bas.


La faute en revient principalement aux hommes politiques (parmi les grands responsables, Edouard Balladur et Manuel Valls figurent en bonne place) qui, par absence de courage et refus de s’engager dans une véritable réforme fiscale capable de redonner à la France un minimum de compétitivité, se sont contentés, généralement à quelques mois d’une importante échéance électorale, d’exonérer d’impôt sur le revenu un nombre très important (de l’ordre de la moitié) de nos concitoyens.
Pour mettre fin à cette politique de gribouille, plusieurs mesures doivent être envisagées :
-        D’abord, bien entendu, une diminution de la part de la sphère publique dans notre PIB, jusqu’à la ramener, très rapidement, dans la moyenne des pays de l’union européenne ;
-        Ensuite, une réhabilitation de l’impôt sur le revenu, qui était déjà au cœur de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, dont beaucoup ont oublié que l’article 13 stipulait, en 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. ». Cet impôt doit conserver son aspect progressif, mais doit aussi être payé dès le premier euro perçu, par tous les citoyens français, quitte à ce que les premières tranches de prélèvement soient symboliques.
-        Cet impôt doit inclure, dans son assiette, toutes les formes de revenus, y compris celles qui résultent des transferts sociaux. La suppression des multiples exonérations qui existent permettra d’ailleurs de simplifier très sensiblement les déclarations et le recouvrement de cet impôt.
Pour l’avenir, plutôt que d’envisager des exonérations de taxe d’habitation, il serait de loin préférable de demander aux collectivités locales de prélever leurs recettes fiscales sur les ménages, en utilisant la même assiette que celle de l’impôt sur le revenu (on connaissait déjà, il y a plus d’un siècle, un tel mécanisme de « centimes additionnels » à une taxe nationale, pour financer les dépenses locales). Là encore, une seule déclaration sera suffisante, ce qui facilitera grandement les formalités administratives.


c) Supprimer la déductibilité fiscale des rémunérations excessives

Toute partie de rémunération excédant 20 fois le SMIC devrait désormais être considérée non comme un salaire, avec les avantages liés aux charges déductibles, mais comme une distribution de résultat, donc assujettie à l’IS (et bien sûr aux prélèvements sociaux tels que la CSG et la CRDS).


Le même sort sera réservé aux avantages sociaux y afférents, notamment les retraites-chapeaux et autres golden parachutes, y compris les indemnités transactionnelles dépassant 20 fois le SMIC annuel.
Si les actionnaires prennent en compte le fait que ces rémunérations seront prélevées sur le résultat net distribué, ils y prêteront plus d’attention.


Certes, les cotisations sociales seront moindres (assurance maladie et allocations familiales, notamment, ne seront pas perçues), mais ces cotisations sont elles-mêmes déductibles du résultat imposable, ce qui restitue de la masse imposable au titre de l’IS. De même, si les bénéficiaires sont imposés selon le régime des dividendes distribués, donc avec un crédit d’impôt correspondant à l’IS, la charge sur leur imposition personnelle ne sera pas plus importante. Mais, d’une part, ils devront supporter le coût de leur couverture sociale personnelle, d’autre part rien n’interdit de prévoir que ces salaires et avantages ne seront plus déductibles du résultat imposable de l’entreprise, sans pour autant être considérés comme des dividendes.


L’objectif principal restera de pénaliser les entreprises qui versent de telles rémunérations et de telles indemnités de départ, de donner un signal au public sur la moralisation du monde des affaires et de montrer aux actionnaires que, désormais, ces soi-disant salaires et avantages seront directement prélevés sur les bénéfices distribués.

2. Des choix énergétiques plus rationnels

Une bonne politique de l’énergie doit être fondée sur trois objectifs :
-        la sécurité d’approvisionnement,
-        la compétitivité de l’économie, donc une énergie à coût modéré,
-        la protection de l’environnement, notamment via la baisse des émissions de GES.
Cette politique doit aussi prendre en considération les enjeux géopolitiques : le pétrole et le Moyen-Orient, le gaz russe, la prolifération nucléaire, les négociations climatiques, etc.


Chaque source d’énergie peut être évaluée à l’aune de sa contribution, positive ou négative, à chacun de ces objectifs. Par exemple, le pétrole fournit une énergie à faible coût, une sécurité d’approvisionnement via des sources d’approvisionnement diversifiées, mais un impact environnemental négatif, en pollutions diverses et en émissions de carbone. Les ENR ont une bonne performance en sécurité d’approvisionnement, un impact positif sur l’environnement (sous réserve des ressources naturelles mobilisées), mais une compétitivité globale faible, notamment si on inclut les coûts générés par leur intermittence, y compris les coûts de réseau (lesquels souffrent par ailleurs d’un vrai problème d’acceptabilité sociale) et de mise en place de solutions de secours. L’électricité d’origine nucléaire contribue à la sécurité d’approvisionnement (très peu d’intrants importés et des origines diversifiées), sa contribution à la protection de l’environnement est incontestable, au regard de ses émissions dérisoires en GES, pour autant que la sûreté soit assurée et que l’impact du stockage des déchets soit maîtrisé (la Cour des Comptes l’a estimé à quelques euros par MW/h, mais il conviendra d’y veiller). Quant à sa compétitivité, excellente pour les réacteurs actuellement en fonction pour autant que les coûts de démantèlement aient été correctement appréciés (pour l’heure, ils semblent validés par des auditeurs légaux qui engagent leur responsabilité), est en question pour les nouvelles centrales à créer.
Depuis une dizaine d’années, certains aspects de la politique énergétique française sont devenus un enjeu politicien, autour duquel se font et se défont des alliances, se constituent des majorités. En toile de fond, l’Europe mène une politique très timorée, s’occupant essentiellement des règles de concurrence et du développement des EnR, sans affecter la compétence exclusive des États membres sur la détermination de leur bouquet énergétique national.


Dans une telle situation, deux priorités doivent être assurées :
-           remettre de la rationalité dans les choix énergétiques de la France,
-           densifier la politique européenne de l’énergie pour en faire un vrai projet de refondation.
Quelques mois avant la présidentielle de 2012, les négociatrices du Parti Socialiste et d’Europe Écologie les Verts concluent un accord qui prévoit la fermeture de 24 centrales nucléaires en une douzaine d’années et l’octroi d’une soixantaine de circonscriptions. C’est sur cet accord électoraliste qu’a été bâti notre concept de transition énergétique, jusqu’à la loi éponyme.


Depuis, on navigue en pleine ambiguïté : tandis que le Président de la République et ses gouvernements successifs ont parfois eu des comportements ambigus ou dilatoires, les mouvements écologistes, face à un PS très silencieux, multiplient les attaques contre l’énergie nucléaire.
Aujourd’hui, introduire de la rationalité signifie d’abord revenir sur les réalités, les enjeux et les défis de l’énergie nucléaire, non pas pour demander que rien ne change, mais pour qu’une place raisonnable lui soit donnée, à hauteur de ses avantages (source d’énergie décarbonée) et de ses inconvénients (notamment en termes de sûreté).


Parallèlement, les progrès de productivité de certaines énergies renouvelables, telles le solaire ou l’éolien, doivent conduire à développer leur usage décentralisé, ce qui fera évoluer notre modèle historique, très centralisé. En revanche, il faut arrêter le subventionnement massif d’EnR (par le gouvernement ou par les consommateurs eux-mêmes, via la CSPE), dans un système électrique où les coûts d’investissement deviennent massifs.
Surtout, priorité doit être accordée, dans le domaine des transports, de l’urbanisme, du logement, de l’industrie et de l’agriculture, aux économies d’énergie et à la limitation des émissions de CO2.


Mais le leitmotiv appelant à la disparition progressive de l’énergie nucléaire, tel qu’il continue d’être répété par les partis politiques écologistes, aurait un sérieux besoin d’être revisité, à l’heure où tout le monde redoute que l’on n’atteigne pas les objectifs de la Conférence de Paris sur le climat. Aujourd’hui, plus de 1250 tonnes de CO2 sont émises chaque seconde dans l’atmosphère au plan mondial. Le total atteindra bientôt 40 milliards de tonnes par an. Les pays développés qui, comme l’Allemagne, ont décidé la sortie du nucléaire sont confrontés à une équation technique et économique insoluble : le coût de leur énergie est devenu exorbitant et leur contribution relative aux émissions de CO2 et au réchauffement climatique s’accroît. Les scientifiques qui participent aux travaux du GIEC reconnaissent - publiquement ou en privé - que les objectifs de Paris ne pourront être atteints sans une contribution significative de l’énergie nucléaire et deviendront parfaitement hors de portée si tous les pays qui l’utilisent aujourd’hui décident d’en sortir. Certes, cela impose de maintenir la vigilance sur la sûreté des installations, sur la gestion des déchets et sur la compétitivité de cette source d’énergie. Mais remettre les priorités dans l’ordre implique d’admettre que celle d’aujourd’hui n’est en aucun cas de sortir du nucléaire. Maintenir les objectifs d’une LTE qui prévoit, en 2027 (soit dans 8 ans) un plafonnement à 50 % de la production d’électricité d’origine nucléaire est un non-sens d’un point de vue économique et technique.
En résumé, ce que l’on nomme la « transition énergétique » doit
-        Privilégier les sources qui contribuent à la sécurité d’approvisionnement, à la compétitivité et au développement durable, notamment via la réduction des émissions de CO2 ;
-        Le nucléaire en fait partie et constitue même la plus abondante, et la seule à fournir de la « base », c’est-à-dire à garantir des quantités importantes, disponibles en permanence pour répondre aux besoins de l’industrie et des autres gros consommateurs ; plutôt que prétendre sortir du nucléaire, à un coût exorbitant, on devrait assurer son développement raisonnable,
o   en prolongeant la durée de vie du parc via l’opération de « grand carénage », bien entendu sous réserve de l’autorisation de l’ASN et d’une appréciation, au cas par cas, de la rationalité technique et économique pour la tranche concernée ;
o   en assurant la compétitivité des réacteurs de 3ème génération, EPR/EPR NM (« nouveau modèle » ou « optimisé »),
o   enfin en supprimant de la LTE la disposition purement déclaratoire d’une réduction à 50 % de la part d’électricité nucléaire d’ici 2025 (d’un point de vue strictement technique, nous n’avons pas les capacités de fermer et commencer à démanteler deux à trois réacteurs nucléaires par an, sans compter qu’on ne voit guère comment remplacer, aussi subitement, les milliers de GW/h qui disparaîtraient), ainsi que le plafonnement à 63,2 GW de la capacité de production installée, qui ôte toute flexibilité dans la gestion du remplacement progressif des équipements, ainsi que dans la recherche d’une réduction progressive de la part du nucléaire dans la production française d’électricité, effectivement souhaitable et pour laquelle un objectif raisonnable de 50 % pourrait se situer entre 2035 et 2040 ;
-        Assurer parallèlement le développement des énergies renouvelables, notamment celles dont les coûts de production vont prochainement atteindre la compétitivité, à condition que l’usage de celles qui sont intermittentes (la biomasse et l’hydraulique ne sont pas dans ce cas) soit lié à la mise en place d’un système électrique moins centralisé, où l’autoconsommation sera développée, grâce à la mise en place de capacités de stockage locales, sur le lieu de production.
-        Promouvoir une politique déterminée d’économies d’énergie, dans l’habitat (en redéfinissant les rapports locataires/propriétaires et en agissant sur le choix du chauffage dans les logements neufs), dans les transports et dans les activités de production industrielle ou agricole ;
Dans ce cadre, il faudra diminuer la proportion, dans notre mix énergétique, des énergies fossiles qui contribuent fortement aux émissions de CO2 et coûtent à la France 50 milliards d’euros d’importations par an. En leur sein, remplacer progressivement le pétrole par le gaz permettrait déjà de faciliter l’atteinte des objectifs de la conférence de Paris. L’interdiction du gaz de schiste sera réexaminée au regard d’une étude rationnelle de ses impacts environnementaux.


Les énergies marines renouvelables pourront jouer un rôle déterminant pour répondre aux enjeux énergétiques et climatiques, et recréer des emplois industriels et tertiaires à haute valeur ajoutée dans les territoires littoraux. Cela suppose une politique d’encouragement de la R & D et des projets de démonstration en matière d’éolien offshore, d’hydroliennes, de houlomoteurs et d’énergie thermique des mers. Un déploiement plus ambitieux pourra être envisagé au fur et à mesure, sous réserve que ces modes de production fassent la preuve de leur compétitivité.
En outre, le développement d’une filière industrielle nationale et européenne des énergies renouvelables devra faire l’objet d’une politique volontariste, notamment au niveau des composants (panneaux solaires, notamment).


C’est au prix d’une telle remise en perspective que l’on parviendra à donner un minimum de rationalité dans la politique énergétique de notre pays, dans un cadre européen (cf. ci-après, « Redonner un nouvel élan à l’Europe ».

II. Faire de l’éducation et de la formation professionnelle des priorités nationales



1. Réformer notre système éducatif

Chacun sait que le système français d’éducation primaire et secondaire fonctionne sur la sélection, rejette un nombre considérable de jeunes et se place mal dans les classements internationaux.


En moyenne nationale, 20 % des enfants qui sortent du primaire ne maîtrisent pas les savoirs de base. Ces jeunes ne peuvent pas suivre l’enseignement secondaire faute de bases nécessaires. Ils vont vivre l’enseignement secondaire comme une obligation sans intérêt pour eux et perdre confiance en eux.
En France, on compte 1.669 000 « neets » (neither in employment nor in education or training) soit un jeune sur sept. Ce nombre a augmenté de 10 % en 10 ans.


Ce désastre doit cesser.
-        La priorité doit être apportée au primaire en notant que chaque enfant représente une histoire différente. Il s’agit d’enseigner à des personnes et non d’enseigner seulement un programme.
-        Augmenter le nombre des enseignants dans les classes est nécessaire mais non suffisant. Il faut prendre en compte la personne de l’élève et pour cela organiser des têtes à têtes dans le calme avec un dialogue avec l’élève et, si possible les parents. On devra individualiser la relation maître/élève.
-        Les enseignants doivent être motivés. Une évaluation des résultats pourrait donner lieu au versement de primes.
-        Le secondaire pâtit évidemment de cette inadaptation du système éducatif à la réalité sociale.
-        L’organisation de la scolarité en France constitue un cas à part en Europe : très longues vacances et journées pendant lesquelles l’enseignement est « comprimé ».


Qui ignore que les enfants livrés à eux-mêmes pendant les vacances où les parents ne s’en occupent pas ou mal, risquent de dévier ?
Un suivi des élèves du primaire et du secondaire existe. Il s’appuie sur les efforts des municipalités et des associations mais il est insuffisant (non obligatoire).


-        Il convient de mettre en place une politique de prévention. Sur les sommes accordées à la lutte contre le « décrochage », seuls 18 % sont dédiés à la prévention. On a noté de plus, l’éparpillement des dispositifs. Aucune économie d’échelle ou de partage des bonnes pratiques, une superposition des dispositifs dans le secteur public, sans pilotage global, pas d’accès aux statistiques nationales, aucune culture de l’évaluation, une culture de financement des projets (et non des structures) d’où une grande dispersion au détriment des stratégies long terme.
Il importe d’établir un partenariat que les acteurs associatifs de terrain en allouant pour un temps limité (5 ans) des budgets publics aux obligations de résultats préalablement définis. A cet égard, la Fondation AlphaOmega, notamment, en accord avec l’Education Nationale, mène avec succès plusieurs actions ciblées (Entreprendre pour apprendre, Association Fondation étudiante pour la ville, Écoles de la 2e Chance etc…) devrait pouvoir étendre son action.
Faute d’une révision drastique de ces politiques en direction des « décrocheurs », le rapport de la Cour des Comptes 2015 restera d’actualité : « Le cumul de l’ensemble des dispositifs actuels et des initiatives engagées ne paraît ni efficace ni soutenable pour les finances publiques ». Une culture rigoureuse de l’évaluation coût/résultat s’impose.
-        Il convient de revenir sur une décision très préjudiciable à la jeunesse des quartiers défavorisés : la décision prise par M. Balladur (1993-1995) de ne plus verser l’aide aux cantines directement vers les chefs d’établissement mais aux parents. Cette décision démagogique a privé beaucoup d’élèves d’un repas équilibré et d’un temps de convivialité, de nombreux parents de catégories peu favorisées conservant l’argent pour d’autres usages. Il est urgent de revenir sur cette décision.
-        Si le nouveau gouvernement veut réellement mettre fin à une politique de « mesurettes » (temps scolarisé, fin du latin, des classes bilingues etc…), il faut avoir un Ministre de l’Education Nationale de haut niveau, conscient de l’intérêt général et qui reste en place 5 ans.
-        Le nombre d’étudiants français dans l’enseignement supérieur est inférieur - toutes proportions gardées - à celui observé aux Etats-Unis ou (de plus en plus) en Chine.
Il convient d’avoir une réflexion sérieuse sur ce sujet en prenant en compte l’absence de sélection qui conduit de nombreux étudiants à une impasse. Sans revenir sur ce principe-très populaire-un système d’orientation/conseil devrait être mis en place conjointement avec des acteurs de l’économie réelle.
-        Une réflexion sur la préparation intellectuelle à l’ère nouvelle qui s’ouvre (intelligence artificielle notamment) devrait prendre place comme c’est le cas aux Etats-Unis.     

2. Restructurer l’offre de formation

Point n’est besoin de répéter le refrain lancinant sur le « gaspillage », la « gabegie » du système de formation des adultes en France. Journalistes et hommes politiques qui se recopient mutuellement répètent à satiété les mêmes quelques exemples et s’évitent ainsi de réfléchir à la vraie question : l’offre de formation est-elle satisfaisante ? capable de répondre aux besoins d’un pays qui a tant de chômeurs à remettre à flot, tant de salariés à garder à la pointe des innovations et des pratiques de leurs métiers ? La réponse est sans équivoque : non, notre système de production de la formation n’est plus capable de répondre aux besoins d’une économie dynamique, exposée à tous les vents de la concurrence internationale, bousculée autant par le big data que par l’usine 4.0.


Plus de 60.000 organismes de formation réalisent les 13,5 milliards de chiffre d’affaire qui représentent les coûts pédagogiques de la formation hors formation interne en entreprise et hors salaires des formés. 1% de ces organismes en réalise 44%. L’AFPA à elle seule en réalise près d’un milliard, la CEGOS près de 160 millions. En face, 16.000 « organismes » sont des formateurs individuels, indépendants qui produisent en moyenne 28.000 € de chiffre d’affaire. Pour évaluer leur niveau de vie, il convient de retrancher de ce montant les prélèvements sociaux et fiscaux de toute sorte, soit environ 50 %, ce qui laisse un revenu de 1.160 € par mois, 500 € de moins qu’un instituteur stagiaire. Dans les grands organismes, le coût moyen de l’heure de formation s’élève à 16 €, pour les formateurs indépendants à 5,8 €.
Derrière ces quelques chiffres, quel fonctionnement réel se révèle ? Première réalité : une grande partie de ces formateurs arrivent à ce métier dans un processus de conversion personnelle après un licenciement et le constat de la difficulté à retrouver un emploi dans leur ancien métier. Deuxième réalité : la plupart de ces organismes travaillent moins d’un jour sur deux : outre les samedis et dimanches, il faut oublier les périodes de vacances scolaires où l’appareil de formation se vide et le mois de janvier où les dotations budgétaires en entreprise comme dans les administrations ne sont pas encore notifiées. Troisième réalité : pour couvrir leurs coûts fixes immobiliers et administratifs, les grands organismes utilisent massivement les formateurs indépendants, taillables et corvéables à merci parce que courant désespérément pour remplir leur agenda. En dehors de cette ressource, les formateurs indépendants réussissent à décrocher de petits contrats auprès des prescripteurs publics parce que ceux-ci, cadrés par leurs contraintes budgétaires, privilégient systématiquement l’offre au prix le plus bas pour peu que le discours qui enveloppe la course à la baisse des prix se réfère aux codes sémantiques en vigueur. Pour compléter ce panorama, la durée moyenne des stages ne cesse de diminuer : elle est aujourd’hui de moins de 12 heures. Pour résumer : des formateurs d’occasion produisent des stages courts dans des locaux médiocres avec du matériel obsolète.
Par rapport à ces constats, les problèmes de gouvernance qui polarisent l’attention de l’Etat sont secondaires et les réformes introduites ces dernières années vont dans le bon sens. C’est au tissu économique de la formation qu’il faut maintenant s’intéresser avec deux axes :


-        Accepter une hausse des budgets de formation tant publics que privés pour que les formations soient produites dans de bonnes conditions avec des formateurs qualifiés, dans des locaux adaptés, avec des matériels conformes à ceux qui sont effectivement utilisés dans les entreprises. Les financeurs, Etat, régions, entreprises doivent accepter que le coût de l’heure de formation augmente pour que la qualité attendue, l’amélioration des compétences voulue soient atteintes ;
-        Mettre en place des mécanismes incitatifs à la concentration des producteurs de formation en définissant une taille critique à atteindre en combinant l’arme de la certification de l’organisme (qui s’attachera non seulement aux aspects quantitatifs, mais aussi et surtout à l’adéquation de l’offre, par rapport aux meilleures pratiques existantes) et celle de l’incitation financière. L’objectif doit être l’absorption de ces milliers de formateurs indépendants dans des organismes qui par leur taille, par leur ingénierie pédagogique, par leur ancrage au sein des entreprises, soient capables de répondre aussi bien au besoin de conversion en profondeur de chômeurs ou de salariés en transition professionnelle qu’aux besoins d’adaptation marginale de la technicité de salariés en place.


3. Investir 15 Md dans la formation aux métiers de demain

Le plan actuel d’EM prévoit de mobiliser 15Mds parmi les 50 du plan d’investissement financé par emprunt de l’État pour former 1 million de jeunes sans qualification et 1 million de chômeurs de longue durée.


Cette mesure a un double avantage :
-        son volume 3 Md d’€ par an correspond au triple du plan 500 000 et est bien proportionné aux enjeux : risques pointés par l’étude Mc Kinsey avec, à terme, plus de 2 millions d’emplois non pourvus, et donc disparus, et plus de 2 millions d’actifs totalement déconnectés du marché du travail.
-        l’intégration de la formation dans un plan d’ensemble portant sur la transition énergétique, les équipements collectifs, la santé ou les transports garantit un traitement économique du chômage en rupture avec les pratiques antérieures de traitement social. La formation est ainsi remise au service d’un projet, comme dans les autres pays, alors qu’en France, elle s’est souvent autonomisé depuis la loi de 1971.
Encore faut-il être plus précis sur le contenu, le financement et la gouvernance : quelques propositions.


a) Le contenu et les publics visés

Deux publics doivent être visés en particulier :
-        les décrocheurs et plus généralement les jeunes sans qualification
-        et les chômeurs éloignés du marché du travail sans employabilité.
Pour les jeunes de moins de 18 ans, en particulier les décrocheurs, il faut mettre en avant des solutions de mise en situation de travail sans forcer systématiquement à une orientation définitive qui peut s’avérer trop précoce : les E2C et les EPIDE sont de très bonnes formules.


L’apprentissage doit être encouragé jusqu’à 30 ans, avec désormais la possibilité d’utiliser les titres professionnels, et doit être assoupli pour commencer à toute date de l’année ; il faut cependant rester réaliste, l’offre des entreprises n’étant pas très élastique.
Pour les adultes de plus de 18 ans, y compris les décrocheurs post bac, l’offre de la formation professionnelle continue est bien adaptée d’autant qu’elle inclut toujours des périodes d’alternance en entreprise, qui doit d’abord être considérée comme une modalité pédagogique, la référence à un contrat de travail spécifique devant s’estomper.


Les formations doivent être qualifiantes, bénéficiant d’une certification reconnue et conduire à une réelle employabilité, permettant la mobilité d’une branche à l’autre ; le mal français, en particulier la pratique de pôle Emploi est de partager la pénurie par un recours à des formations trop courtes et qui ne conduisent à l’emploi que ceux qui n’en sont pas éloignés.
Les métiers visés doivent être soit des métiers d’aujourd’hui en tension, soit des métiers de demain, en particulier pour la révolution numérique et la transition énergétique alors que le plan 500 000, construit par homothétie sur les budgets existants s’est porté sur les métiers d’aujourd’hui, avec notamment un manque criant de prise en compte des effets de la transition énergétique alors que celle-ci affecte un métier sur deux.


Un tel investissement serait aussi l'occasion de financer (Co-Financement de l'Etat au résultat) au delà de la formation, l'ensemble des prestations d’accompagnement nécessaires à un retour effectif à l'emploi (CEP, coaching, orientation, création d'entreprises, formation et frais annexes, placement, ...) directement mobilisable par l'individu via son CPF et auprès de l'opérateur de son choix (public mais aussi privé et habilité à délivrer ce type de prestations).
Les méthodes pédagogiques innovantes à base de mix-learning rendues possible par une pédagogie multimodale intégrant les outils numériques devrait être favorisées pour allier personnalisation et massification. Ces méthodes permettent en effet de nouvelles approches rendant l’accès à la qualification accessible à des publics nouveaux, à des populations isolées et peu mobiles, notamment des travailleurs indépendants, à des jeunes en mobilité ou en emploi partiel…


b) Le financement

(iii) Articulation avec le CPF/CPA :

Profondément sain car remettant l’apprenant au cœur, à l’opposé des méthodes anciennes de prescriptions administratives, le CPF doit notamment faire face à une difficulté : les heures détenues par les actifs seront, dans beaucoup de cas, insuffisantes pour accéder à une formation qualifiante, avec le risque de pousser à des petites formations sans rapport avec l’emploi ! L’abondement du CPF est donc essentiel et le plan 15 Md vient à point pour éviter cette dérive. Les financements du plan 15 Md viendront donc compléter le disponible des comptes CPF, déclencher des choix économiquement vertueux, la participation de l’actif via son CPF étant en quelque sorte son ticket modérateur.


Ainsi boosté, les CPF/CPA prendrait leur plein sens, le mécanisme d’abondement étant essentiel à leur succès.

(iv) Chiffrage : Trois tiers de 1 Md chacun par an

-        La partie rémunération devrait être de l’ordre de 1Md compte tenu des populations concernées et de l’existence de la garantie jeune.

-        La partie destinée aux jeunes de moins de 18 ans et à l’apprentissage pourrait s’élever aussi à 1 Md.
-        La partie finançant des formations qualifiantes à des métiers en tension ou d’avenir articulée sur les autres dimensions du plan pourrait viser 1 million d’actifs, notamment des chômeurs de longue durée ou des salariés dont l’emploi est fragilisé, ou encore les salariés ayant exercé un métier pénible et ayant besoin d’une deuxième carrière anticipée, pour leur proposer des reconversions ; ces formations dont le coût moyen, compte tenu de la VAE, est de 6000 € (4 mois) conduirait à un budget total annuel de 1,2 Md dont 0,2 serait financés par la mobilisation des CPF et 1 Md par l’abondement résultant du Plan 15 Md.

c) La gouvernance

Avant tout, pour donner réellement ses chances à cette ambition au service de la formation professionnelle, il faut détecter les raisons pour lesquelles le corps enseignant s’oppose, depuis des décennies, de façon ouverte ou larvée, au développement des formations en véritable alternance, telles que l’apprentissage. Il y a des raisons de penser que ce blocage tient à la diminution des horaires des enseignants professionnels, avec ses impacts sur le nombre de postes, la carrière et la rémunération (heures supplémentaires). Des remèdes devront être trouvés, dans le dialogue social, y compris par le redéploiement d’effectifs là où la situation le nécessite, mais il ne serait pas normal que l’avenir de nos enfants soit pénalisé par ces réticences.


Financée par l’Etat cette action devrait être articulée avec l’ensemble du plan d’investissement de 50 Md sur 5 ans. Ni Pôle Emploi, ni la DGEFP ne sont équipés pour une telle action. Une réforme s’impose donc, pour articuler les choix industriels et les plans de formation (comme le fait spontanément une entreprise !).
Les CPF seraient mobilisés permettant à chaque actif de s’engager personnellement à l’issue d’une phase de conseil en évolution professionnelle dont le dispositif devrait être boosté à l’occasion.


Reste à articuler cette action avec celles des Régions, qui ont désormais la compétence première, pour la formation continue comme pour la rémunération des stagiaires ; ce point n’est pas secondaire et porte le risque d’un conflit politique avec les exécutifs régionaux s’il est mal géré.
a décentralisation s’est faite, à l’origine, sans règles du jeu, sans régulation ; ainsi les coopérations entre régions sont difficiles ; par exemple la coordination pour la déconstruction des bateaux entre PACA, Bretagne, Pays de Loire  et Aquitaine n’est pas efficace ; la mobilité interrégionale des stagiaires a fortement reculé ; les grands projets ou innovations nationales ne sont pas toujours portés.
Cependant la loi Sapin 2 a réintroduit la possibilité juridique pour l’Etat d’intervenir ; la nouvelle proportion entre budgets des régions et plan national serait  équilibrée puisque à côté de l’action de proximité des régions, l’Etat serait le garant des grandes causes nationales, comme la transition énergétique. Ces grandes causes industrielles ou écologiques justifient pleinement une intervention régalienne et cela d’autant plus que cette action ferait partie intégrante d’un plan d’ensemble.
Il faudra néanmoins veiller à trouver un mécanisme de dialogue avec les régions et les partenaires sociaux pour éviter des doublons ou des oublis, en envisageant par exemple des mécanismes de co-financement comme cela se pratique pour les grands travaux.



B. ERADIQUER LE CHOMAGE DE MASSE


I. Faire émerger la face cachée du marché de l’emploi

-        Les commentateurs ne cessent de déplorer le nombre d’entreprises qui ne trouvent pas de salariés correspondant à leurs besoins (64 % des PME déclarent faire face à des difficultés de recrutement), tandis que le nombre de demandeurs d’emploi ne cesse de grandir. Le rôle de Pôle Emploi se limite à enregistrer les chômeurs dans le but qu’ils bénéficient des aides qui leur sont dédiées.
-        Il est nécessaire de mettre en place une plus grande ouverture des services publics de l’emploi pour gagner en efficacité et gommer ainsi le fossé qui sépare encore trop, offre et demande d’emploi. Et dans ce but, examiner les actions menées par certaines entreprises de recrutement d’intérimaires.
-        Un Big Data a, en effet, été mis en place par certains professionnels du recrutement des intérimaires. Cette plateforme de matching permet à des TPE/PME de recruter des salariés intérimaires dont les compétences sont préalablement validées. De la qualification du besoin au paiement sécurisé en passant, entre autres, par la sélection des candidats et la description de la mission, l’entreprise trouve les compétences intérimaires recherchées en toute autonomie, 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Ce service inédit se distingue aussi par sa simplicité et son interface qui reprend volontairement les codes du e-commerce. En appui sur ces deux caractéristiques, la plateforme est essentiellement pensée pour les TPE et les PME en proie à des difficultés de recrutement. Il s’agit de rechercher en temps réel les candidats inscrits, renseignés avec rigueur sur des critères essentiels : disponibilités, qualification, compétences, expériences, localisation… avec rapidité et efficacité.
-        Il conviendrait de faire un essai en temps réel de ce système sur une région ou une agglomération pour mesurer l’efficacité du système.=
-        Bien entendu, il faudrait que le Pôle Emploi local coopère en fournissant ses données, à titre expérimental, pour commencer.
-        En cas de non adéquation des profils aux demandes qui nécessiterait un complément de formation, celui-ci serait fourni en accord avec l’entreprise qui recrute et sur les bases du socle de compétences du candidat, qu’il s’agit de compléter ou de spécialiser.
-        Le seul blocage est administratif : il faut obtenir qu’un Pôle Emploi local joue le jeu. Il faut aussi financer une expérience locale pour en tirer toutes les conclusions.
-        Des entreprises de travail temporaire, spécialisées dans le traitement efficace de l’emploi seraient candidates.

II. POUR UN POLE EMPLOI AU SERVICE DE L’ECONOMIE : CHOMEUR, SALARIES, EMPLOYEURS

1.  La fusion des services de placement et d’indemnisation

En 2009 ASSEDIC et ANPE ont été fusionnées. Cette réforme paraissait évidente à beaucoup. Quoi de plus logique que de rapprocher le placement des chômeurs avec l’indemnisation qui a précisément pour but de leur permettre la recherche d’un bon emploi. N’avions-nous pas sous les yeux l’exemple allemand de la Bundesagentur füt Arbeit qui combine avec efficacité placement, indemnisation et formation ? Dans ce microcosme du service public de l’emploi, nombreux étaient ceux qui auraient voulu y joindre l’AFPA, mais la régionalisation progressive de la formation professionnelle ne l’a pas permis. Heureusement doit-on dire au vu des résultats de cette réforme de 2009.

2. Une fusion Echec

Il faut le dire clairement, cette fusion a été un échec et le reste. Le ministère du travail a voulu non un rapprochement, mais une vraie fusion. Agents de l’ANPE et salariés des ASSEDIC ont été mixés dans des délais très resserrés dans de nouvelles agences locales et on a voulu les rendre tous polyvalents, capables aussi bien d’accueillir les chômeurs que de démarcher les entreprises et de traiter les droits à indemnisation.


Cette ambition était totalement déraisonnable : au-delà des compétences spécifiques des métiers, il y avait une profonde divergence de culture professionnelle. Démarcher les entreprises pour qu’elles révèlent leurs offres d’emploi, accueillir les chômeurs pour les rassurer et les dynamiser, alors qu’à l’évidence le marché du travail n’est pas porteur, liquider leurs droits à indemnisation dans le maquis de la réglementation UNEDIC, sont chacun de vrais métiers, avec des savoirs et des pratiques spécifiques. On a tenté de rapprocher deux cultures antinomiques : pour résumer, les agents de l’ANPE avaient pour métier principal le face-à-face avec les chômeurs, les salariés des ASSEDIC avaient pour métier principal le traitement de dossiers, avec pour consigne d’éviter autant que faire ce pouvait le contact direct avec les chômeurs. Alors que les agences locales de l’ANPE étaient largement ouvertes sur l’extérieur, les bureaux des ASSEDIC étaient soigneusement protégés contre les intrusions de chômeurs mécontents ou de syndicalistes en colère.
S’y ajoutait une différence de statut : les agents de l’ANPE étaient des contractuels de droit public, tout à fait assimilables à des fonctionnaires, avec des déroulements de carrière, des avancements d’échelon à l’ancienneté, des concours externes et internes. Les employés des ASSEDIC étaient des salariés de droit privé, soumis à une convention collective, et de surcroît beaucoup mieux payés. La possibilité était offerte aux agents de l’ANPE de basculer du statut à la convention collective avec à la clé une augmentation de salaire de près de 20% en moyenne. Beaucoup refusèrent et aujourd’hui il reste encore 5.000 contractuels de droit public, payés en moyenne 30% de moins que leurs collègues sous convention collective, fiers de leur appartenance assumée à l’administration mais remâchant leur amertume devant leur feuille de paie.


Enfin tout ceci s’est opéré dans une période particulièrement défavorable : celle de la crise des subprimes, vite transformée en crise de l’économie occidentale par la grâce des interconnexions bancaires. Il faut se rendre compte de ce qu’est l’ambiance dans une agence locale de Pôle Emploi dans de telles périodes. Les licenciés affluent, déboussolés, anxieux, souvent hargneux. Les premiers entretiens avec les conseillers sont strictement minutés. Les rendez-vous successifs se font attendre. Les offres d’emploi convergent encore moins que par le passé vers Pôle Emploi avec le développement de sites indépendants qui collectent aussi bien offres que demandes et disposent d’algorithmes de rapprochement. Malgré de considérables renforts en personnel, tout le monde à Pôle Emploi se sent en surcharge de travail et en surcharge anxiogène.

3. Redessiner l’indemnisation du chômage

Revenir à une séparation des deux fonctions, intervention sur le marché du travail d’une part, indemnisation d’autre part, permettrait d’assainir le climat délétère qui règne à Pôle Emploi. Ce ne sera pas une mince opération, elle suscitera des attaques violentes du personnel de base et de leurs syndicats aussi bien que des confédérations patronales et salariales. Il ne faudra pas oublier au passage que si l’informatique de Pôle Emploi est robuste, cela tient à la compétence des informaticiens de l’UNEDIC auquel l’ANPE avait sous-traité depuis longtemps le traitement de son système d’information. On criera à la gabegie, en raison des relocalisations qu’il faudra opérer si peu de temps après avoir redessiné un réseau de locaux accueillants.


Si les projets d’extension de l’indemnisation à de nouvelles populations qui aujourd’hui en sont exclues se réalisent, ce sera politiquement porteur pour cette scission, mais il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle se déroule dans la paix sociale.
Au sommet de l’organisation de l’indemnisation se posera la question du paritarisme. Celui-ci a bien des défauts, mais il a une légitimité historique ; ce sont les partenaires sociaux qui ont créé l’assurance-chômage à une époque où l’Etat ne versait aux chômeurs qu’une misérable aide publique. Ils ont su faire face sans délai aux grandes phases d’augmentation du chômage et verser les premières indemnités au bout du deuxième mois là où les directions départementales du travail pouvaient avoir des délais moyens de huit à dix mois. Il est vrai que le régime est aujourd’hui très lourdement endetté et que les perspectives de l’emploi ne laissent pas prévoir un retournement prochain de situation. On peut alors se rappeler ce que Pierre Bérégovoy, ministre des affaires sociales en 1982, sut faire alors que l’UNEDIC connaissait déjà une situation de trésorerie dramatique. En pleine complicité avec les partenaires sociaux qui mirent en scène l’échec de leurs négociations, le ministère reprit la main et modifia les règles d’indemnisation pour en réduire les coûts. Les partenaires sociaux reprirent alors la responsabilité du nouveau régime avec sérénité, les jeux de rôle ayant été parfaitement tenus. Cet exemple peut n’être pas oublié.


Pour assurer le versement des indemnités de chômage dans cette nouvelle configuration, un instrument public existe déjà : l’Agence de services et de paiement. Elle assure déjà des centaines de milliers de paiements aux stagiaires de la formation professionnelle, aux dizaines de milliers d’entreprises et de collectivités qui embauchent des salariés en contrats aidés, à des centaines de milliers d’agriculteurs qui perçoivent des fonds de la politique agricole commune. Elle a des compétences informatiques qui lui permettent de faire face à des montées brusques d’activité, par exemple lorsque le gouvernement lance le programme « 500.000 chômeurs en formation ». Il lui faudrait naturellement des moyens supplémentaires pour assurer le versement de leurs indemnités aux plus de trois millions de chômeurs indemnisés : des transferts de personnels ex-Assedic lui permettraient d’assurer cette mission sans défaillance. Mais il est probable que seul Pôle Emploi serait capable d’assurer le contrôle de la recherche d’emploi qui légitime le versement des indemnités. Il y aurait donc une liaison à établir entre ces deux établissements.

4. Reconstituer un service du placement dynamique

Revenu à la mission originelle de l’ANPE, le Pôle Emploi redessiné a de grands progrès à faire. Il est au fil des ans devenu l’opérateur principal des politiques actives de l’emploi. Il ne se contente pas d’accueillir les chômeurs, de les inscrire, de leur indiquer leurs droits et leurs obligations. Il leur apprend à rédiger C-V et lettres de motivation. Il leur fait faire des bilans de compétences. Il leur apprend à se servir des outils informatiques d’appui à la recherche. Il les oriente vers des formations. Et - ce n’est pas la moindre de ces charges - il leur soutient le moral. Il y a, en fait, dans les agents de Pôle Emploi, deux profils : les « travailleurs sociaux » qui développent une démarche d’empathie humainement utile mais peu productive pour l’efficacité de la recherche d’emploi, les « entrepreneurs » qui relancent régulièrement le chômeur qui laisse si facilement couler les jours et, surtout, qui prospectent les entreprises, font le point sur leurs besoins actuels et futurs, leur adressent des demandeurs parfaitement ajustés à l’offre d’emploi ou définissent avec l’employeur le parcours de formation qui permettra au demandeur de correspondre à l’offre.


Tous deux sont utiles mais quand le marché du travail connait les tensions actuelles, le deuxième profil doit prendre le pas sur le premier et les politiques de recrutement de Pôle Emploi doivent le prendre en compte.
Aujourd’hui Pôle Emploi recourt largement à des opérateurs privés, pour les bilans de compétences, pour les formations, pour le reclassement des licenciés économiques, pour les aides à la mobilité. Mais il faut le dire nettement, il le fait à des tarifs qui ne permettent pas à ces opérateurs de travailler convenablement. Un bilan de compétences à 800 € ne peut qu’être superficiel. Il en va de même des tarifs des organismes de formation agréés.


Mais la défaillance la plus grave de Pôle Emploi réside dans ses délais d’action. Entre l’inscription du demandeur et son orientation vers une formation puis, de là, vers son entrée effective en formation, des mois s’écoulent pendant lesquels les droits à indemnisation s’épuisent, le pouvoir d’achat se réduit, le moral s’effondre.
Débarrassé de l’indemnisation, gardant une grande partie des effectifs aujourd’hui absorbés par l’indemnisation, mais en les orientant efficacement vers une gestion active des demandeurs d’emploi, le Pôle Emploi rénové doit pouvoir assumer mieux ses missions. Il ne doit pas prendre son parti du fait qu’une part croissante de l’offre d’emploi lui échappe, comme autrefois lui échappait les annonces d’emploi de la presse. Il peut passer des accords avec les principaux sites Internet pour bénéficier des offres qu’ils reçoivent et leur présenter des candidats effectivement sélectionnés pour pouvoir leur correspondre. Il doit concentrer ses crédits de formation vers un nombre considérablement réduit d’organismes avec lesquels il pourra contracter des engagements à moyen terme avec des garanties robustes sur les spécialités et les dates d’ouverture. Il faut qu’il développe une vraie compétence d’initiateur aux outils informatiques qui sont disponibles dans les agences locales mais sont hermétiques pour tant de demandeurs. C’est toute une culture du service qu’il doit redévelopper malgré l’impuissance relative dans laquelle le place l’écart persistant entre besoin et offre de travail.

III. Adapter aux TPE-PME les conventions collectives nationales

Du fait de la composition des délégations patronales et des délégations de salariés dans la négociation des conventions collectives, ces conventions sont toujours d’une grande complexité :

-        elles visent à passer des compromis entre négociateurs aguerris, ayant bien en tête le panorama des négociations en cours ou à venir prochainement, entre des intérêts différents et des concessions d’un côté y donneront lieu de l’autre à des concessions dans un tout autre domaine, notamment pour que personne ne perde la face,
-        ces délégations sont composées de vieux routiers de la négociation, le plus souvent permanents de leurs organisations depuis très longtemps, n’ayant plus un vrai travail d’employeur ou de salarié de base et ayant perdu toute conscience de ce que sont devenues les conditions réelles de production et de travail. De plus, l’immense majorité de ces négociateurs nationaux sont issus des grandes et très grandes entreprises, sans aucune conscience de l’immense écart de moyens entre une entreprise de 20.000 salariés et une entreprise de 60 salariés.
Les accords qui sont alors conclus ne tiennent compte ni de cet écart de moyens ni de l’absence quasi-totale de syndicats dans les PME si bien qu’il n’est pas possible d’y adapter les normes conçues pour des entreprises qui ont à la fois des services du personnel compétents et des syndicalistes aguerris. Lorsqu’il y a une présence syndicale même symbolique, la hiérarchie des normes à peine écornée par la loi El Khomri bloque toute possibilité d’adaptation significative Les chefs d’entreprise des PME/TPE sont ainsi conduits à vivre en permanence et en toute (in)conscience le risque d’une délinquance sociale dont les conséquences pénales peuvent être lourdes.


La solution serait que :
-        dans toute convention collective nationale soit introduit un volet PME/TPE négocié  avec les seules organisations patronales représentatives de cette catégorie,
-        il pourrait être demandé aux confédérations de salariés de créer en leur sein un niveau de négociation adapté à la PME/TPE et acceptant donc le principe d’un droit du travail différencié au-delà des seuls effets de seuil,
-        dans les entreprises sans syndicat, les négociations avec l’employeur puissent être menées avec le comité d’entreprise et en l’absence de comité par une délégation de salarié élus pour la circonstance par leurs collègues. Leur mission serait alors d’adapter les conventions collectives nationales aux spécificités de l’entreprise concernée dans le cadre d’une loi générale simplifiée.

IV. Sécuriser les activités solidaires

1. Un chômage trop important pour être résorbé par le seul développement du salariat

Depuis le premier choc pétrolier et le début de l’irrésistible montée du chômage, les politiques publiques et la réflexion, particulièrement à gauche mais pas uniquement, dans les partis comme dans les syndicats, se sont axées sur l’emploi salarié comme objectif central, voire unique de la sortie du chômage. Et pour un chômage structurel que l’on peut estimer entre un million et un million et demi de personnes, ce qui est déjà beaucoup mais fait partie des logiques d’une économie devenue plus mobile, il y a aujourd’hui 5 millions de chômeurs de diverses catégories auxquels s’ajoutent environ 800.000 personnes en situation de non emploi et de précarité, mais non répertoriées, ce « halo du chômage » évalué par l’INSEE.


On voit dans ces conditions que la croissance prévisible n’offre pas de réponse suffisante. Quand bien même les résultats continueraient de s’améliorer au point d’entraîner une diminution du chômage, on n’imagine pas un instant pouvoir créer les 3 à 4 millions d’emplois salariés qui ramèneraient la demande d’emploi insatisfaite à un niveau acceptable pour le lien social. Et si « l’uberisation » de certaines activités laisse entrevoir un début de remise en cause, cette aspiration salariale restera centrale pour la plus grande partie de la population.
Il faut donc réfléchir un autre modèle. Non pas seulement parce que la préoccupation écologique nous y amène au regard des prévisions inquiétantes sur le réchauffement climatique, mais parce qu’il faudra s’habituer à une autre organisation dans un schéma de croissance faible ou nulle.  Dès lors comment intégrer dans les politiques publiques de nouvelles formes d’activité, souvent ancrées dans notre histoire économique mais devenues quasi invisibles dans la représentation imposée par les Trente Glorieuses ?


2. De nouvelles formes de lien social et économique

Les économies traditionnelles, incomplètement monétarisées, reposaient largement sur des échanges concrets dont la fonction économique était de plus fortement productrice de lien social et de solidarités. Certaines de ces renaissances ont été bien médiatisées, tels les SEL (services d’échange local). Beaucoup se développent dans la discrétion la plus complète, inscrites dans des micro-territoires, fruits d’initiatives de militants rapprochés par les convictions autant que par les mésaventures économiques. Ateliers de coiffure dans les quartiers difficiles, garages solidaires, épiceries solidaires ou AMAP en contrat avec des agriculteurs étranglés par la grande distribution, les initiatives foisonnent. Mais elles sont bridées par le corsetage juridique, fiscal, normatif de l’économie formelle. Les obstacles à leur essor sont légion : crainte d’une concurrence déloyale des artisans et commerçants, crainte de pertes de recettes pour le financement de la protection sociale, crainte d’un essor du travail dissimulé, poids des normes de toute nature qui visent à la sécurité des producteurs comme des usagers et protègent les formes les plus puissantes de la production et de la distribution. A tout instant ils peuvent tomber dans les rets des URSSAF, du RSI et autres collecteurs de cotisations et de taxes. Cette intervention les condamne immédiatement à des pénalités financières qui conduisent à l’arrêt de leur activité, mais plus gravement elle les expose à des poursuites pour l’incrimination infamante de travail dissimulé.  Toutes ces craintes ont leur fondement. Mais si compréhensibles soient-elles, elles maintiennent dans la pauvreté et la solitude sociale ceux qui ne peuvent accéder au modèle désiré de l’emploi. Peut-on s’y résoudre ? NON.

3. L’obstacle majeur : l’insécurité juridique

La difficulté cruciale pour ceux qui désirent exercer ce type d’activité est celle de la responsabilité : responsabilité pénale éventuellement et responsabilité civile.


La responsabilité pénale tient pour l’essentiel à l’enchaînement des poursuites que peut entraîner l’incrimination de travail dissimulé. Elle est réelle, mais elle n’est pas la plus bloquante tant les contrôles spontanés ou suite à des dénonciations restent rares.
La responsabilité civile, en revanche, peut contraindre à tout moment. Le moindre incident entraînant un dommage peut la provoquer. Le garage solidaire : le risque de blessure y est considérable dans le maniement de l’outillage souvent lourd. L’atelier de coiffure solidaire : risque de brûlure ou de choc allergique. L’épicerie solidaire : risque dans les manutentions.


Si l’on a affaire à une association déclarée, la possibilité de se couvrir existe, notamment par l’assurance responsabilité civile des dirigeants. Mais d’innombrables initiatives ne relèvent pas de ce régime : elles restent informelles, par choix mais le plus souvent par incapacité d’accéder à ce statut et elles s’exercent sous forme d’abord sous forme d’initiatives individuelles puis d’associations de fait. Et dans cette configuration il n’est pas d’assurance possible.

4. Apporter une sécurité pénale et civile

L’objectif est clair : il s’agit d’encourager le développement de ces initiatives qui redonnent des raisons de vivre, qui recréent du lien social, qui forgent des solidarités et qui créent de la richesse, dut celle-ci échapper au calcul du PIB. Pour cela une proposition : sécuriser la responsabilité tant pénale que civile de leurs initiateurs.


Inspirons-nous d’un précédent ; celui du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, plus couramment appelé Fonds de garantie automobile. L’Etat confierait à la Caisse des dépôts et consignations cette mission : créer une Caisse de garantie des activités solidaires. Cette Caisse pourrait intervenir selon différentes modalités comme assureur de premier rang ou comme fonds de garantie avec mission de couvrir les dommages causés par les activités solidaires dans des conditions telles que la victime n’aurait pu être indemnisée en l’absence d’une assurance du responsable. Comme assureur direct elle serait accessible à tous ceux qui développent ce type d’activité dès lors qu’ils justifieraient d’un label « Activité solidaire ». Comme garantiste, elle interviendrait auprès des activités reconnues solidaires qui ne seraient pas assurées.

5. Créer un label « activité solidaire »

Le label « Activité solidaire » serait délivré au plus près du terrain par un comité d’associations agrées par les pouvoirs publics préfectoraux ou métropolitains capables d’assurer une instruction éthique avec une connaissance réelle de leur terrain et de ses acteurs. L’instauration de cette labellisation devrait faire l’objet d’une large communication et son attribution devrait être aussi peu bureaucratique que possible, ce qui explique qu’elle soit confiée à des acteurs associatifs plutôt qu’à des administrations publiques. Ce label pourrait être attribué à titre rétroactif dès lors que la responsabilité civile ou pénale de l’activité serait engagée avec pour conséquence les mêmes protections que l’attribution a priori.


Dès lors que l’activité ou son animateur bénéficierait de ce label, il aurait droit et obligation à s’assurer auprès de cette Caisse ou d’un autre assureur de premier rang. Mais l’attribution de ce label vaudrait aussi présomption d’activité non dissimulée et mettrait à l’abri des risques pénaux de toute nature liés au travail dissimulé comme à une non-application raisonnée des normes techniques de toute nature imposables aux vrais professionnels mais inaccessible dans un cadre informel. L’Etat aurait à fixer le seuil d’activité à partir duquel l’activité devrait sortir de l’informel pour entrer dans les cadres de l’économie formalisée.

V. Améliorer l’emploi des travailleurs handicapés 

Deux chiffres pour cadrer l’importance du sujet. 927.000 personnes atteintes d’un handicap sont en emploi. 480.000 travailleurs handicapés sont au chômage.

1. Un taux de chômage inacceptable

En 2008, le taux de chômage des travailleurs valides était de 8 %, le taux de chômage des travailleurs handicapés de 10 % Aujourd’hui ils sont respectivement de 10 et 22 % et leur ancienneté au chômage dépasse aujourd’hui deux ans et demi. Si bien que ce taux inacceptable est en réalité très largement sous-évalué : les chômeurs handicapés disparaissent du marché du travail, s’inscrivant dans ce « halo » du chômage dans lequel l’INSEE essaie de compter ceux qui par découragement ont disparu des radars administratifs. Alors que « société inclusive », « vivre-ensemble » sont devenus les mantras les mieux partagés, personne ne réagit vraiment devant cette discrimination massive, inexplicable en termes « médicaux » puisqu’il s’agit non pas de personnes handicapées au point de ne pouvoir travailler mais de personnes dont des commissions spécialisées ont reconnus qu’elles avaient, en dépit de leur handicap, la capacité d’exercer une activité professionnelle.

2. Les freins à l’emploi des travailleurs handicapés

Pour inacceptable qu’elle soit, cette discrimination massive s’explique. Tout d’abord malgré la nette reprise de la création d’emplois depuis 2015, nous sortons d’une longue période de très faible recrutement par les entreprises. Quand les entreprises n’embauchent pas de travailleurs valides, à plus forte raison elles n’embauchent pas de travailleurs handicapés.


Mais les 480.000 travailleurs handicapés chômeurs présentent des caractéristiques, outre leur handicap, qui freinent leur retour à l’emploi. Ils sont âgés : 47 % ont plus de 50 ans. Ils sont faiblement qualifiés : 51 % ont un niveau CAP ou aucun diplôme.

3. Réformer l’obligation d’emploi

a) Un détournement de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (TH)

Les armes légales et financières pour faciliter l’emploi des TH existent. Entreprises et administrations de plus de 20 salariés doivent employer 6% de TH. Lorsque ce taux n’est pas atteint, l’employeur doit verser une contribution à l’AGEFIPH ou au FIPHFP. Ce niveau de 6 % n’est nulle part atteint malgré le vaste éventail d’aides de l’AGEFIPH et du FIPHFP depuis des années. Mais ce taux augmente lentement, ce qui n’est pas évident en période de faibles recrutements. Alors comment expliquer que le nombre de TH employés augmente mais que leur taux de chômage augmente nettement plus vite ?


La réponse est nette : l’obtention de la qualité de TH par des salariés alors que leur handicap n’a aucune conséquence professionnelle se substitue à l’embauche des nouveaux entrants dans le handicap. Se développe chez les employeurs un véritable détournement de l’obligation d’emploi. Celle-ci a été instituée pour favoriser l’emploi de personnes dont le handicap freine l’efficacité professionnelle. Aujourd’hui la croissance des effectifs de handicapés employés résulte, pour l’essentiel et sans caricature, d’une stratégie méthodique : découvrir dans le personnel déjà employé ceux qui ont un handicap médical que personne n’avait jusqu’alors détecté parce qu’il n’a aucune conséquence sur la vie professionnelle. Ce choix stratégique, d’autant plus cynique qu’il est enrobé d’un discours sur l’éthique et la citoyenneté, explique pour une large part que les handicapés à la recherche d’un emploi et dont le handicap a des conséquences sur leur efficacité professionnelle restent à la porte de l’emploi.
Cette stratégie va loin. Certaines entreprises ont mis en place des primes occultes (1.000 € parfois) attribuées à toute personne apportant sa « RQTH », sa reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, label administratif qui permet de figurer dans cet effectif légal de 6 %. Cela passe aussi par le recours à des cabinets spécialisés qui, à partir des analyses des arrêts maladies ou systématiquement pour les salariés âgés, contactent les salariés concernés et les incitent vigoureusement à demander cette reconnaissance. Cette situation a déjà été dénoncée : le premier président du Fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées avait une formule vigoureuse : « J’en ai marre qu’on compte les amputés du petit orteil gauche ». Cette stratégie, enrobée dans le discours valorisant du « maintien dans l’emploi » a pour effet d’assécher les possibilités de recrutement externe.


b) Revenir à l’esprit de l’obligation d’emploi : la centrer sur l’impact professionnel du handicap

Le maçon en fauteuil roulant et l’informaticien en fauteuil roulant ont le même handicap. Ce handicap n’a pas les mêmes conséquences sur leur vie professionnelle. L’un pourra continuer d’exercer son métier avec la même efficacité, l’autre devra se reconvertir complètement. L’informaticien qui a des douleurs lombaires est parfaitement efficace avec un siège ergonomique, l’informaticien tétraplégique qui a besoin de 2 heures de soin pendant la journée a évidemment une productivité moindre. Le non ou mal voyant en espace de travail collaboratif aura besoin de logiciels spécifiques pour la lecture orale de ses messages de même que le sourd aura besoin de logiciels spécifiques pour traduire en message écrit certains échanges oraux. Il en va de même pour tous les métiers de faible qualification vers lesquels se concentrent la recherche d’emploi des TH du fait de leur faible niveau de formation (51% ont un niveau au plus égal au CAP).


Notre proposition est simple : seules doivent être comptées dans les 6 % de l’effectif au titre de l’obligation d’emploi les personnes dont le handicap médical entraine une réduction de leurs capacités professionnelles effectives, là où ils sont employés ou recrutés avec les équipements de travail standard de l’entreprise qui les emploie ou les embauche. Seuls doivent être décomptés au titre de l’obligation d’emploi ceux dont le handicap entraine soit une moindre efficacité professionnelle soit des besoins d’adaptation spécifique là où ils sont appelés à travailler effectivement.
Cette condition pour être appréciée doit s’inscrire dans le polygone : nature médicale du handicap/métier/niveau de qualification de la personne/emploi occupé ou à occuper/poste de travail. Ce ne sont évidemment les commissions des Maisons départementales des personnes handicapées qui peuvent porter cette appréciation. Mais la compétence pour cette évaluation existe, aisément mobilisable : le médecin du travail. Il voit les salariés de l’entreprise, il voit ceux qui sont recrutés, il connait l’entreprise, ses postes de travail, ses équipements. Il est à même de se prononcer sur cette combinaison métier/ niveau de formation/ équipements/ handicap médical/ impact professionnel. La prise en compte du travailleur atteint d’un handicap dans les 6 % de l’obligation d’emploi doit passer par cette appréciation du médecin du travail. L’obligation d’emploi servira alors effectivement à ceux qui en ont besoin.


c) Les implications de cette réforme

Elle ne pourrait évidemment pas avoir d’effet rétroactif, ne serait-ce que pour ne pas submerger la médecine du travail qui est déjà bien à la peine avec sa crise démographique. Mais conçue pour le futur, elle se heurterait à deux obstacles : celui des organisations patronales, celui des grandes associations de personnes en situation de handicap.


Le premier est évidemment celui des organisations d’employeurs qui invoquerait l’irréalisme de la réforme, irréalisme d’autant plus violent que nous sommes en période de mutations multiples de l’emploi. Plusieurs solutions s’offrent au gouvernement :
-        Abaisser légèrement l’obligation d’emploi,
-        Augmenter la part de cette obligation qui peut s’accomplir en confiant du travail au secteur adapté et protégé (aujourd’hui 50% de l’obligation peut être satisfaite de cette manière,
-        Encourager la conclusion d’accords d’entreprise agréés par le ministère du travail et permettant de préparer l’avenir des travailleurs handicapés en finançant des actions de formation avec aussi bien les établissements scolaires à partir du lycée qu’avec des établissements spécialisés comme les centres de rééducation professionnelle.
Du coté des associations de personnes en situation de handicap, en dehors d’un refus de principe de l’abaissement de l’obligation d’emploi, on se heurterait à une objection philosophique, celui de l’égalité devant toutes les formes de handicap. Ce fut un des enjeux de la loi de 2005 par rapport à la loi de 1975. C’est une objection respectable mais qui ne tient pas face à la réalité et, en particulier, face à l’objectif d’emploi où les difficultés de recrutement croissent évidemment avec la lourdeur du handicap.

4. Construire une politique de qualification

Qu’il s’agisse de jeunes ou de plus âgés, la solution à moyen-long terme de l’emploi des travailleurs handicapés passe par un effort intense et continu de qualification.


a) En formation initiale

Cela commence à l’école. L’école a réussi à devenir relativement inclusive. Elle a encore des progrès à faire mais beaucoup a déjà été fait. Reste qu’aujourd’hui les élèves handicapés passent normalement du primaire au collège mais qu’une grande partie d’entre eux disparaissent au moment du passage au lycée. Et une deuxième évaporation, massive, se fait au passage dans l’enseignement supérieur où aujourd’hui moins de 0,5 % des étudiants sont en situation de handicap. Pour une part ce sont des solides raisons médicales. Pour une large part cela tient à l’image dévalorisée que le jeune lui-même, sa famille, son entourage ont des limites du handicap. Le « tu sais, mon chéri, ça risque d’être vraiment compliqué pour toi » pèse terriblement lourd dans cette éviction des niveaux supérieurs de l’enseignement.


Or il existe des réalisations qui montrent que cette éviction peut être combattue efficacement. Les opérations montées sur la région de Toulouse sont une magnifique réussite. Un partenariat étroit entre constructeurs et équipementiers aéronautiques, Rectorat et établissements scolaires, a permis de construire un accompagnement renforcé, avec le concours des professionnels des entreprise, de la 3ème jusqu’à la fin des études supérieures. Cette voie est prometteuse, il faut la développer avec le concours des grandes entreprises qui ne recrutent plus qu’à des niveaux au moins égaux à bac+3, voire uniquement à partir de bac+5.

b) En formation pour adultes

Cela continue dans les centres de formation pour adultes. L’AFPA a dû réduire pour des raisons budgétaires le volume de ses formations spécialisées sans pour autant réussir à devenir nettement plus inclusive dans ses sections classiques de formation. Le transfert des compétences de l’Etat aux régions a un effet analogue. En moyenne une formation pour travailleur handicapé coute deux fois plus cher que pour un chômeur valide. D’où la tentation pour plusieurs conseils régionaux de mener une politique du chiffre qui aboutit à l’éviction de fait des travailleurs handicapés de leurs actions lourdes de conversion des chômeurs.


Restent les Centres de rééducation professionnelle dont le savoir-faire est remarquable même si, comme l’AFPA, ils éprouvent de la difficulté à convertir leurs formations obsolètes en formations adaptées au marché du travail actuel. Il existe cependant des actions qui démontrent la faisabilité et l’efficacité de ces formations. Le CRP de Millau a, par exemple, monté avec le soutien financier de Thales et de Cap Gemini, des formations à l’informatique où d’anciens ouvriers accèdent en deux ans ou trois ans à des niveaux de qualification qui les rendent immédiatement employables, certains jusqu’à des niveaux d’ingénieur. De la même manière le Centre de formation de la profession bancaire a des réalisations remarquables d’efficacité.
Ces formations ont un coût immédiat. Mais elles permettent une vraie insertion professionnelle et citoyenne et elles évitent des années de versement d’aides sociales multiples qui ne sont que des palliatifs créateurs de dépendance.

VI. Égaliser les avantages des contrats aidés entre secteur non-marchand et marchand

1. Une constante : une aide plus importante pour le secteur non-marchand

Il y a une constante dans les aides déployées par le ministère du travail pour favoriser l’embauche des publics en difficulté, jeunes aussi bien que seniors : les avantages qu’ils offrent sont soit exclusivement réservés au secteur non marchand, collectivités territoriales ou associations à but non lucratif, soit également ouverts au secteur marchand mais avec un niveau d’aide nettement inférieur. C’était le cas pour les travaux d’utilité collective de 1985/86 comme c’est aujourd’hui le cas des contrats uniques d’insertion.


La différence n’est pas mince. Les employeurs du secteur non-marchand bénéficient de l’exonération totale des cotisations de l’assurance-maladie, de l’assurance vieillesse, des allocations familiales, de la taxe sur les salaires, de la taxe d’apprentissage, de la participation construction et l’Etat peut rembourser à l’entreprise jusqu’à 95% du Smic. Les employeurs du secteur marchand bénéficient des seules exonérations de droit commun (les abattements Fillon) et l’Etat rembourse 35% du SMIC.
S’y ajoute un contingentement parfaitement inégal : les volumes ouverts en secteur non marchand sont trois fois supérieurs.

2. Deux démarches d’employeurs opposées

La décision d’embaucher en contrats aidés obéit à deux logiques différentes en milieu non-marchand et en milieu marchand dont le résultat à terme pour le salarié divergera.


L’association qui recrute dans ces conditions le fait parce qu’elle n’a pas les moyens de payer un salarié ordinaire et que son activité ne lui permet pas de créer progressivement une demande plus solvable. Elle embauche donc à coût réduit pour maintenir ou développer son action. Mais au terme de l’aide, elle n’aura d’autre solution que laisser partir le salarié et le remplacer par un nouvel embauché lui aussi sous contrat aidé.
L’entreprise qui embauche en contrat aidé le fait parce qu’elle est en développement prudent et qu’elle cherche à valider sa démarche à coût maitrisé. Ce salarié à coût réduit lui permet de créer le bien ou le service solvable et au terme de l’aide, si la démarche économique est validée par la croissance de son chiffre d’affaires, elle peut alors le garder en le pérennisant.


Dans un cas il s’agit donc de se maintenir malgré des ressources réduites et non susceptibles d’augmenter à bref délai, dans l’autre il s’agit d’un test de croissance.

3. Une stabilisation dans l’emploi nettement meilleure dans le secteur marchand

Le résultat se lit dans les statistiques du ministère du Travail. Six mois après la fin du contrat aidé :

-        36 % des personnes sorties d’un contrat unique d’insertion du secteur non marchand (CUI-CAE) sont en emploi,
-        66 % des personnes sorties d’un contrat unique d’insertion du secteur marchand (CUI-CIE) sont en emploi 70 % d’entre eux se trouvent en contrat à durée indéterminée.

4. Le contrat aidé dans le secteur marchand, un outil pour résorber le chômage

Toutes les enquêtes d’opinion auprès des employeurs le montrent : il y a un formidable réservoir de projets latents dans les PME et les TPE. Une fois dégagée la gangue des réponses convenues, deux constantes apparaissent : le coût salarial quand le chiffre d’affaires correspondant n’est pas encore assuré, la crainte des difficultés du licenciement si la personne ne convient pas ou si l’activité attendue ne se concrétise pas.


Les contrats aidés répondent à ces deux craintes : le coût salarial y est réduit et la durée du contrat est limitée (de surcroît sans indemnité de précarité à son issue).
Proposer le contrat aidé, dans le secteur marchand, en particulier dans les TPE, aux mêmes conditions que pour le non-marchand, permettrait de doubler ou tripler les effectifs concernés et, en s’appuyant sur les chambres des métiers, de créer de nombreux emplois.




C. POUR UNE SOCIETE PLUS SOLIDAIRE

I. Huit propositions pour une « France Diverse »

L’article 1er de notre Constitution garantit l’égalité devant la loi, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Mais cette affirmation de principe ne suffit pas à occulter les inégalités qui subsistent, dans les ghettos que nous avons bâtis aux portes de nos villes, où le chômage persiste en dépit des diplômes et où la désespérance s’installe, terreau fertile à tous les extrémismes.

1. Des statistiques utiles et utilisables

Promouvoir la diversité, assurer une véritable égalité des chances et une réelle promotion par les mérites, doivent figurer très haut dans les priorités politiques. C’est d’ailleurs notre intérêt, tant sont nombreux les travaux qui confirment que les discriminations représentent un coût important pour notre société. Cela suppose de pouvoir la mesurer et l’évaluer. Pour cela, il n’est besoin ni de créer des quotas, ni de promouvoir le communautarisme. À droit constant, il est possible, comme le Conseil constitutionnel l’admet, de recueillir, sans contredire le principe d'égalité, des données objectives permettant de mesurer les handicaps et, surtout, les effets des politiques destinées à les corriger.


Une première proposition consiste donc à doter la France de statistiques publiques permettant (i) de mesurer les handicaps dont souffrent les plus défavorisés, en matière de formation, d’accès à l’emploi, de promotion professionnelle, de participation à la vie politique, en un mot d’insertion sociale, et (ii) d’évaluer l’effet concret des politiques destinées à la corriger.

2. Renforcer l’effort d’éducation dans les quartiers défavorisés

L’accession de tous aux savoirs indispensables est manifestement un échec. Dans les comparaisons internationales, l’école française se caractérise par des résultats d’ensemble médiocres, une dégradation générale des performances et une très forte influence du milieu social sur les résultats. Les enfants d’immigrés en sont particulièrement affectés. Malgré quelques exceptions brillantes, le sentiment d’échec et l’absence de perspective prévalent dans ces populations. Les handicaps sociaux, culturels, économiques et territoriaux se nourrissent aussi d’un moindre effort public pour ces enfants de la République. La sectorisation scolaire a déçu : des enseignants moins expérimentés, des conditions de travail plus difficiles, un absentéisme élevé, une exigence moindre pour les enfants. Rétablir, dans les territoires les plus défavorisés, une école de la République qui fasse sens et qui soit à la hauteur de l’enjeu devient une urgence nationale.  Au-delà des préoccupations de justice, une restauration de la promesse républicaine d’égalité des chances peut avoir un impact significatif sur la compétitivité de notre économie et sur nos comptes publics. Les travaux menés par James Heckman, prix Nobel d’économie en 2000, ont prouvé que chaque euro consacré à un très jeune enfant permet d’en économiser jusqu’à huit, dans les domaines de la santé, de l’emploi, de l’éducation, de la sécurité, de la justice ou des services sociaux. Agir dès l’école primaire est donc nécessaire et prioritaire.


Une deuxième proposition consisterait à restaurer l’égalité des chances en investissant d’abord sur la petite enfance et l’école primaire, tout particulièrement dans les quartiers défavorisés.

3. Faciliter l’insertion dans le marché du travail des jeunes issus de la diversité

Les difficultés d’insertion des jeunes peu qualifiés sur le marché de l’emploi, qui affectent la performance de notre économie et la cohésion de notre société, frappent spécifiquement les populations issues de l’immigration. Il est aujourd’hui indispensable de penser un nouveau pacte social qui ne laisse pas de côté cette part importante de notre population : lutter contre la discrimination en entreprise n’est pas affaire de compassion mais plutôt d’intérêts bien compris. Une obligation de rapport social sur la diversité d’origine serait un puissant atout. Dans ce cadre, l’abandon du CV anonyme et son remplacement par un simple testing des pratiques constituent un recul parfaitement regrettable. Un CV anonyme mieux conçu, intégrant les technologies de l’information et aisément utilisable dans les PME limiterait les discriminations à l’embauche.


Au sein de la troisième proposition, il faudrait inciter les entreprises à mesurer la diversité de leur personnel (a minima sur les critères suivants : âge, sexe, origine, handicap) et leur demander de publier ces résultats de façon annuelle ; parallèlement, il faudrait refonder un CV anonyme facilement utilisable par les entreprises, y compris petites et moyennes.

4. Mettre les talents de nos diaspora au service de notre développement international

Notre outil de coopération internationale et nos entreprises doivent puiser dans la palette des talents de nos pays, donc s’appuyer sur les diasporas pour soutenir nos actions à destination des pays d’origine. Inversement, les filles et fils d’immigrés, comme les migrants de fraîche date, ayant un projet pour leur pays de départ, pourront s’appuyer sur l’hybridation culturelle et l’expérience acquise tant dans le fonctionnement des institutions françaises que dans leur milieu économique et professionnel. Dans cet esprit, pourrait être créée une fondation pour porter des projets utiles soutenus par la diaspora du pays d’origine et donner un sens concret et pérenne à leur communauté historique.


Faire des diasporas les ambassadrices de nos entreprises et créer une fondation des diasporas entre la France et les pays émergents, constituerait une quatrième proposition.

5. Renforcer la diversité d’origine dans la haute fonction publique

On reproche à juste titre à la haute fonction publique d’être masculine, blanche et socialement homogène. Si les profils se diversifient dans les emplois d’exécution et d’encadrement intermédiaire, la diversité sociale, culturelle, générationnelle ou géographique exige encore un effort de promotion, particulièrement dans la haute administration. S’agissant de l’accès aux emplois supérieurs de l’administration, lequel se fait traditionnellement par voie de concours et par promotion interne, une attention particulière devrait être portée sur la suppression des critères de sélection qui traduisent un héritage culturel, pour les remplacer par une détection des aptitudes à diriger et à s’adapter à un monde changeant. Cette réorientation doit aussi s’appliquer à l’emploi contractuel et aux nominations au « tour extérieur ». Quant au déroulement des carrière, il doit mieux tenir compte de l’expérience, de la formation continue, de la mobilité, des qualités de management ou de la réussite dans les missions confiées, sans s’attacher à l’école d’origine. Bien entendu, ces principes doivent s’appliquer aussi dans la fonction publique territoriale, via une modulation des dotations du budget national.


Promouvoir la diversité au sein des profils A et A+ de la fonction publique nationale et territoriale, tant un moment du recrutement que dans le déroulement de carrière fonde la cinquième proposition

6. Promouvoir la diversité d’origine au sein des élites politiques

La promotion de la diversité passe aussi par celle des acteurs politiques. La césure entre représentants et représentés est encore plus forte dans les banlieues. Selon l’observatoire des inégalités, seuls 3 % des députés sont issus des catégories sociales « ouvriers » et « employés » alors qu’elles représentent la moitié de la population active. La sous-représentation des quartiers défavorisés est encore plus criante. Pourtant, 85 % des Français se disaient prêts, en 2008, à voter pour un candidat de la diversité lors d’une élection législative. Au niveau local, faire émerger des « élites politiques des quartiers » doit être considéré comme une priorité par tous les partis, afin d’offrir à leurs représentants des perspectives de réelle insertion dans les cercles de pouvoirs. Repenser la représentation politique des minorités visibles suppose aussi de faire évoluer les modalités de désignation des candidats aux élections nationales et européennes. Pour être effectif, le renouveau de l’offre électorale doit s’accompagner de la limitation stricte du cumul des mandats, y compris dans le temps.


Ouvrir à la diversité les élus de la République, aussi bien au niveau local qu’au sein des parlements français et européen, constitue la sixième proposition.

7. Mettre fin à la ghettoïsation de la France

L’urbanisation en France, au cours du dernier demi-siècle, a créé une fracture. Des politiques de peuplement, inconscientes ou délibérées, ont fixé à la périphérie des métropoles les quartiers de logements sociaux, pour absorber les migrations rurales puis étrangères. Ainsi, la diversité issue de l’immigration ou des collectivités d’outre-mer s’est concentrée dans ces quartiers, dont l’image s’est très vite dégradée. Les premières émeutes urbaines, au tournant des années 80, ont fait prendre conscience de la nécessité d’un traitement particulier de ces espaces urbains. Rapport après rapport, loi après loi, la politique de la ville fut mobilisée pour résorber ces « zones urbaines sensibles », devenus « quartiers prioritaires de la politique de la ville », sans que les résultats soient convaincants. La concentration de populations défavorisées a produit un « effet-quartier ». La spécialisation ethnique a aggravé le sentiment de relégation dans ces territoires, où la seconde puis la troisième génération issues de l’immigration cherchent en vain une reconnaissance et un sentiment de solidarité nationale. Les chiffres sont éloquents : le taux de chômage y atteint 26,7 % alors qu’il est de 9,9 % dans les unités urbaines environnantes. 21 % des lycéens s’orientent vers une filière générale en classe de première, alors qu’ils sont 40 % dans les autres territoires. La politique de la ville a souffert d’un insuffisant appui politique et s’est heurtée à l’indifférence d’une partie des élus et des agents publics. L’égoïsme territorial existe. Or, la mixité dans l’habitat représente un enjeu fondamental, car elle fournit la matrice du succès des autres politiques publiques, notamment celle de l’éducation. La loi SRU, la loi ALUR et, dernièrement, la loi « Égalité et citoyenneté » ont tenté d’imposer des taux de logements sociaux dans toutes les communes : le rattrapage est loin d’avoir eu lieu. Cette carence dans des villes ou quartiers privilégiés ne doit plus être tolérée et appelle des mesures plus contraignantes. La pénalisation des villes concernées doit d’abord être financière : leur imposer une contribution annuelle égale à 10 % du coût du foncier non affecté à cette obligation leur permettrait de percevoir très directement que leur refus leur coûte plus cher qu’une politique d’investissement social. Donner aux préfets un réel pouvoir de substitution lorsque les commissions d’attribution dysfonctionnent au point de favoriser la ghettoïsation, viendrait en complément.



Briser la ségrégation dans l’habitat en pénalisant réellement les communes ou communautés qui ne satisfont pas leur obligation d’investissement en logements sociaux et en habilitant les préfets à imposer des objectifs de mixité seront les piliers de la septième proposition.

8. Repenser notre politique de maintien de l’ordre dans les banlieues

Le divorce est grand entre nos banlieues et les forces de l’ordre. Certes, il faut clairement refuser que des territoires échappent aux lois de la République. Mais savoir repenser notre présence policière, perçue comme aussi inefficace que provocatrice, est devenu une nécessité. L’erreur originelle réside, pour partie, dans la suppression de la police de proximité, remplacée par une obsession du chiffre et une désertion des quartiers, de la part de la police comme des autres services publics. Recréer une police de proximité, ayant une connaissance plus fine de la population sur laquelle elle est censée veiller, doit être la première étape. Cette meilleure connaissance des quartiers permettra de limiter les contrôles abusifs, au faciès, dont le Défenseur des Droits a déploré la persistance. La généralisation des caméras-piétons ne suffira pas à résoudre la question. Il faudra aussi restaurer la confiance entre habitants et forces de l’ordre. Cela devrait passer par la déconnexion entre les enquêtes de l’IGPN et de l’IGGN, perçues comme partiales ou, au minimum, en situation de conflit d’intérêt, et le Ministre de l’Intérieur. Sans supprimer ces corps d’inspection et de contrôle, on devrait les placer sous l’autorité du Défenseur des Droits pour toute enquête susceptible de mettre en cause le comportement ou l’éthique des policiers et des gendarmes dans leurs missions de maintien de l’ordre.


Notre huitième proposition sera donc de repenser la présence des forces de l’ordre en mettant fin à la « politique du chiffre » mise en œuvre depuis 2002 et en recréant une police de proximité ; mettre les enquêtes de l’IGPN et de l’IGGN sous l’autorité directe du Défenseur des Droits permettra aussi de recréer de la confiance et du respect dans les banlieues.

II. Promouvoir de nouvelles égalité

Pour que l’égalité ne créée pas d’inégalités.


Emmanuel MACRON a plusieurs fois évoqué le thème de l’égalité réelle. Je propose quelques points sur lesquels pourrait se développer ce concept.

1. L’égalité, valeur républicaine

Au centre de notre devise républicaine nous avons placé l’« EGALITE » comme valeur cardinale. Et depuis Tocqueville il s’est trouvé beaucoup de bons auteurs pour estimer que la soif d’égalité l’emportait dans nos démocraties, et singulièrement dans la nôtre, sur la fraternité et même sur la liberté. Cette injonction égalitaire s’exprime dans tous les domaines et notamment dans la redistribution sociale dans une conception strictement arithmétique qui paraît aujourd’hui être devenue la source de véritables inégalités attentatoires à ce fondement de notre République. Ce qui a aujourd’hui pour conséquences que, après des décennies pendant lesquelles ils ont reconnu l’équité du système de redistribution, les Français estiment majoritairement depuis quelques années que le système de redistribution est injuste par les inégalités qu’il crée (cf. les enquêtes du Credoc).

2. Une intolérance croissante à l’inégalité

Nos concitoyens supportent de moins en moins ce qu’ils perçoivent comme un creusement des inégalités qui, de manière significative, est toujours nommée l’« aggravation » des inégalités. La montée électorale du Front national en est une des manifestations en ce qu’elle traverse les classes sociales - couches populaires aussi bien que classes moyennes - et les niveaux d’éducation, les plus formés se laissant à leur tour gagner par cette dérive populiste. « LA » solution à cette difficulté politique majeure n’existe pas. Mais on peut ouvrir des pistes pour revivifier cette valeur de l’égalité et reconstruire du consensus social.

3. Une redistribution aux effets inégalitaires

Dans notre pacte républicain et progressiste, la redistribution vise précisément à corriger les conséquences sur les itinéraires individuels des inégalités que génère la vie économique. Sans s’interroger ici sur la part de la richesse nationale qui doit être affectée à la redistribution, sur les modalités de son financement, on peut s’interroger sur la réalité des égalités entre bénéficiaires que veut construire cette redistribution. Entre bénéficiaires du revenu de solidarité active, entre bénéficiaires des aides au logement, entre bénéficiaires des allocations aux handicapés, notre système aujourd’hui produit-il une égalité réelle de revenu effectivement disponible ? Ou bien laisse-t-il subsister, voire aggrave-t-il des inégalités antinomiques avec sa finalité ? Pour résumer sommairement, quelle égalité y a-t-il entre le bénéficiaire du RSA logé dans un studio HLM de Figeac avec un loyer de et charges de 190 € et celui qui est logé dans un HLM de même surface de Saint-Denis dont le loyer et les charges s’élèvent à plus du double ? Une fois réglée cette dépense pour l’accès au logement, cette dignité de base du citoyen, quel est le « reste pour vivre » réel à Paris et à Saint-Denis ?

4. Son application aux prestations sociales : égaliser devant le « reste pour vivre »

On ne s’interroge pas ici sur le niveau de vie décent auquel la redistribution doit faire accéder. Nous proposons que les revenus de solidarité soient fixés par l’Etat en fonction d’un objectif : assurer l’égalité des prestataires en pouvoir d’achat réel, en tenant compte de la réalité des écarts de coûts selon les territoires et selon les situations personnelles. D’une égalité devant le montant monétaire, nous proposons une égalité devant le pouvoir d’achat disponible, devant le « reste pour vivre ». La question cruciale devient alors : quels indicateurs objectifs creusent des écarts de coût de la vie selon les catégories, les structures familiales, les réalités territoriales.

5. Un système non intrusif

Si l’on part du constat que le facteur déterminant de la pauvreté est le chômage, ou son corollaire le sous-emploi, l’unité territoriale de base pertinente permettant d’apprécier ces écarts structurels et personnels pourrait être le bassin d’emploi qui deviendrait la circonscription de fixation du montant de l’allocation. L’Etat garderait sa responsabilité de fixer le niveau de vie auquel doit permettre d’accéder la prestation envisagée : il fixe ainsi le niveau auquel se situe l’objectif d’égalité visé. Des instances locales diversifiées alliant compétence scientifique et technique et connaissance concrète du territoire - directions régionales de l’INSEE, DIRECCTE, collectivités territoriales - auraient la responsabilité de déterminer les ajustements locaux du montant à percevoir par l’allocataire selon deux déterminants :
-        l’indice des prix territorial construit autour d’un panier type de consommation,
-        la situation à l’égard du logement  (propriétaire ou locataire, locataire en secteur libre ou en secteur aidé, hébergement en famille).
La construction de ces critères sur des bases objectives permettrait d’éviter les systèmes intrusifs dans la vie privée puisque la seule déclaration attendue du bénéficiaire serait celle de sa situation à l’égard du logement.

6. Son application à la fiscalit

a) Un exemple limité : le quotient familial

Un exemple limité mais caractéristique est celui de la politique familiale. Le quotient familial bénéficie aux redevables de l’impôt sur le revenu. Il n’apporte rien à ceux qui n’y sont pas assujettis. La proposition ici est simple : comme pour la réduction d’impôt pour l’emploi familial, la réduction d’impôt devrait être transformée en crédit d’impôt pour les non-imposables. Tous bénéficieraient ainsi d’un même soutien de l’Etat pour la prise en compte des dépenses qu’entraine l’éducation d’un enfant.


b) Une application plus large : élargir aux prestations sociales l’assiette de l’impôt sur le revenu

Aujourd’hui – et c’est une des critiques majeures à l’égard de notre système de redistribution – une personne cumulant diverses allocations sociales du fait de sa situation peut avoir en réalité un revenu plus élevé qu’un travailleur percevant un salaire modeste. D’autre part la perception d’une allocation par un contribuable est d’autant plus avantageuse que son revenu imposable soumis à l’impôt progressif est élevé. C’est notamment pour cette raison que les allocations familiales ont été soumises à des conditions de revenu, rompant ainsi avec le principe fondamental depuis 1945 de leur universalité et entraînant de violentes critiques des associations familiales.


La solution pour mettre fin à cette situation est simple à énoncer –même si elle soulève des risques d’opposition : tout revenu, qu’il soit le revenu professionnel ou qu’il soit un revenu de solidarité est soumis à l’impôt sur le revenu. La progressivité étant admise comme la condition de la justice fiscale, ce serait une belle percée de l’égalité réelle. On objectera que l’Etat reprendrait d’une main ce qu’il aura donné de l’autre. Cette objection peut être prévenue par une mesure complémentaire : le supplément de recettes attendues de cette imposition serait affecté à l’augmentation de ces allocations de manière à avoir un bilan neutre pour les finances publiques. Et ceci permettrait de revenir à l’universalité des allocations familiales, renouant ainsi un lien de confiance avec les organisations représentatives des familles.

7. Reconstruire une légitimité de la redistribution

Il s’agit là d’évolutions qui soulèveraient sans aucun doute des débats dont la passion pourrait perturber la pertinence. Le débat sur le concept même d’égalité est naturellement crucial, d’autant que l’on sent bien quels sont les cercles concentriques dans lesquels il pourrait se diffuser, par exemple par rapport à la fixation nationale de certaines catégories de salaire. Mais ignorer cette question, c’est saper à la longue la légitimité même de notre système de redistribution, bien au-delà du questionnement sur son efficacité. Autour du débat sur cette évolution de l’égalité arithmétique vers une égalité plus soucieuse des situations réelles se grefferait évidemment un débat d’une grande intensité sur le niveau de vie que doivent viser ces revenus de solidarité, relançant ainsi des controverses sur niveau de vie décent, revenu universel et autres sujets que l’on s’évertue depuis des décennies à étouffer sitôt qu’ils ressurgissent.


D. RENDRE L'ACTION PUBLIQUE PLUS EFFICACE

I. améliorer la qualité et l’efficacité de la gestion publique

C’est un sujet majeur dans notre pays, compte-tenu de la place qu’y tient le service public (pas seulement en termes économiques) et du nombre de fonctionnaires, et parce-que, aujourd’hui, à beaucoup d’égards, il ne fonctionne pas bien (voir plus bas), ce qui génère : qualité de service inégale et frustration des usagers ; malaise des agents et parfois, conditions de travail très difficiles ; et coûts très élevés. Si l’on souhaite baisser (ou même stabiliser) les prélèvements obligatoires et faire un peu mieux « aimer » l’impôt, il faut améliorer l’efficacité et la qualité du service public.


C’est un sujet très difficile, d’abord parce qu’il est compliqué : il touche à de multiples facettes de la gestion publique, gestion financière, procédure budgétaire, statut de la fonction publique, gestion des ressources humaines…En outre, il ne suffit pas (et c’est déjà difficile) de définir là où on veut aller ; il faut aussi organiser le « passage de l’état A à l’état B », c’est-à-dire mettre en place un processus de conduite de changement, ce qui n’est pas simple. Ce changement ne peut se faire de façon unilatérale ; il appelle des négociations sociales, auxquelles ni les syndicats, ni les DRH des fonctions publiques ne sont préparés

1. Éléments de diagnostic

-        Les fonctions publiques sont très étendues (et le processus continue : la loi Déontologie d’avril 2016 a durci les possibilités de dérogation au statut de fonctionnaire pour les établissements publics). Il y a, chez nous, une sorte d’identification entre service public et statut public des personnels, ce qui n’est pas le cas à l’étranger. Ainsi la part des employés du secteur public bénéficiant d’une garantie d’emploi à vie est de 82% en France, contre 43% en Allemagne et moins de 5% dans les pays nordiques. Et la rigidité des fonctions publiques a un corollaire : la multiplication d’emplois très précaires, pour assurer un minimum de souplesse, dans l’éducation nationale, les hôpitaux…A la différence d’autres pays, les salariés et les syndicats font plus confiance au statut public qu’à la négociation collective pour les protéger
-        le mode privilégié de pilotage des services est la norme, généralement à travers des circulaires innombrables élaborées par les différents bureaux d’administration centrale, sans que le souci de la cohérence et de la capacité de mise en œuvre soit toujours présent. Et la norme est générale, donc mal adaptée à la diversité des situations. Le responsable opérationnel est souvent plus dans la situation d’avoir à appliquer des règles multiples (et parfois contradictoires) qu’à rechercher un résultat. Et quand on assigne un indicateur de résultat (cf. le nombre d’expulsions de migrants en situation irrégulière sous Sarkozy), il est ponctuel, ne s’inscrit pas dans l’action globale, et provoque donc toutes sortes de dérives
-        le contrôle comptable privilégie la rigueur formelle, ce qui génère des coûts et des délais, mais aussi peut conduire à brider les initiatives des responsables opérationnels et être contradictoire avec les objectifs qui leur sont donnés
-        les règles d’affectation, d’avancement et de mutation donnent un poids prépondérant au statut (aux corps), à l’ancienneté et à des critères personnels (type : rapprochement de conjoints…), beaucoup plus qu’aux compétences, à l’adéquation au poste, à la performance. Selon une comparaison de l’OCDE, la France est le pays où l’affectation est le plus fondée sur la carrière (le statut) et le moins sur les postes (l’adéquation des compétences au poste), c’est aussi presque (après la Turquie !) celui où l’affectation est la plus centralisée (et donc avec une intervention limitée ou nulle du responsable de service)
-        le corollaire de tout cela est une faible reconnaissance des agents, une faible écoute de leurs propositions, de faibles capacités d’initiatives et d’innovation
-        les tentatives de réformes de l’Etat ont été jusqu’à présent des échecs : La LOLF, qui devait permettre de privilégier les concepts de missions et de performance dans l’architecture de la loi de finances, a plus généré un nouveau formalisme qu’une évolution du fonctionnement de l’Etat. Et la RGPP lancée par N. Sarkozy s’est traduite par des diminutions de moyens et des réorganisations formelles, qui n’ont pas amélioré (et plutôt dégradé) la qualité et l’efficacité du service public (et généré une grande frustration des agents). La source de ces échecs tient notamment au rôle majeur que joue la direction du budget, dans le pilotage de la gestion et de la fonction publique, et dans les tentatives passées de réforme de l’Etat. Or ni sa culture, ni ses objectifs traditionnels (encadrer et contenir la dépense publique) ne la prédispose à réussir la transformation nécessaire de la gestion publique
-        au-delà du discours, cet objectif d’amélioration de la qualité et de l’efficacité de la gestion publique est difficile à porter par les responsables politiques ; parce-que c’est un sujet compliqué qui ne se traduit pas en un petit nombre de mesures ; parce-que il demande du temps, beaucoup de temps ; parce-que les changements entraineront inévitablement des conflits, éprouvants. Il faut beaucoup de courage et de persévérance pour se lancer dans une telle démarche

2. Pour agir

Il ne s’agit pas ici de proposer un plan d’action.


Quelques pistes et repères cependant.
-        on ne réussit pas un changement si on n’est pas au clair sur l’objectif poursuivi, ce qui est essentiel, et ce qu’on peut abandonner,
-        on ne réussit pas un changement si on n’a pas d’alliés qu’il faut identifier, écouter et prendre en compte. Dans le service public, il y a un nombre significatif d’agents de tous niveaux, qui prennent des initiatives et ont envie que cela bouge. Aujourd’hui ils sont souvent étouffés, voire pénalisés. Il faut les valoriser et s’appuyer sur eux,
-        le changement bouscule les situations acquises, demande des efforts. Il faut qu’il y ait des contreparties significatives, qui donneront envie à un grand nombre de tenter le pari du mouvement, et qui permettront, peut-être, de trouver des accords avec certains syndicats, dans les indispensables négociations sociales que les changements statutaires appelleront.
Pour réussir, on sera obligé de bouger certains tabous, en écho au diagnostic :
-        élargir les recrutements (pour les postes non régaliens) à des non-fonctionnaires,
-        remettre en cause cette fausse approche de l’égalité qui repose sur l’uniformité,
-        modifier en profondeur la gestion de la fonction publique (décloisonnement, règles d’affectation, d’avancement, de mutation, etc.) et atténuer, voire supprimer la garantie de l’emploi à vie pour certaines catégories ou dans certaines situations. En particulier, il faudra trouver les moyens de récompenser les agents qui, par leurs initiatives et la rigueur de leur gestion auront permis d’améliorer la qualité du service et de réduire l’ampleur des moyens humains ou matériels mobilisés pour le rendre ; cela est incomptable avec un avancement essentiellement à l’ancienneté et une rémunération où les incitations (primes et bonus) ne peuvent guère être modulées,
-        revisiter les responsabilités de l’ordonnateur, du contrôle financier et des comptables, à partir des pratiques constatées sur le terrain.
Il faudra parallèlement faire évoluer en profondeur le mode de management de l’Etat ; gérer des personnes, des situations et non pas des règles, prendre des initiatives, innover et non pas reproduire, jouer collectif autour d’un objectif ; expliquer, écouter, faire partager ; montrer l’exemple ; plus d’autonomie, plus de responsabilité, plus de sanctions, positives et négatives. C’est peut-être le plus difficile.


La réforme de l’Etat ne doit pas être pilotée par le ministère des finances, encore moins par la direction du budget. Elle devrait dépendre d’un ministre d’Etat, placé auprès du premier ministre et ayant les pouvoirs nécessaires notamment sur les directions du budget, des finances publiques et de la fonction publique.
L’hôpital et les collectivités locales appellent en outre des réformes spécifiques :
-        la réforme territoriale reste à faire, avec comme axe majeur, la suppression de l’enchevêtrement des compétences, accompagné d’une refonte de la fiscalité locale.
-        dans l’hôpital, à côté de beaucoup d’autres choses, un impératif est l’unification de la direction des établissements, avec évidemment comme corollaire, la suppression du quasi-monopole de l’Ecole de Rennes (EHES) sur le recrutement des cadres et directeurs d’hôpitaux.

II. Pour un vrai « choc » de simplifications

Même si le sujet des simplifications administratives fait partie des programmes gouvernementaux depuis plus de vingt ans, il est toujours d’actualité. La problématique est essentielle pour réconcilier les Français avec leur administration. Même si le monde est de plus en plus complexe, et que le refus de cette complexité est de plus en plus partagé, le « choc de simplifications » est fondamental.


Pour réussir, il faut inscrire l’action dans la durée et la stabilité. Cela passe par plusieurs mesures :
-        Mettre en place une structure administrative pérenne. De nombreuses formules ont été expérimentées : commissariat à la réforme de l’État, ministre de plein exercice, ministre délégué avec des formules de rattachement très différentes (Premier ministre, Budget, fonction publique…). Il est indispensable de mettre en place une structure pérenne et crédible : la création d’un poste d’adjoint au Secrétaire général du Gouvernement en charge des réformes administratives, lequel devrait, chaque année, rendre compte de l’évolution de sa mission, non seulement au Premier Ministre, mais également, directement, aux deux chambres du Parlement et à la Cour des Comptes.
-        Prendre en compte, dans la rémunération et l’avancement des fonctionnaires, des simplifications qu’ils auront introduites ou permis d’introduire, au bénéfice des usagers, dans les services dont la gestion leur aura été confiée ;
-        Fixer une règle stricte de production législative. Année après année, le Conseil d’Etat critique la prolifération législative et son effet collatéral, l’explosion du nombre de décrets d’application. La crédibilité législative a été atteinte, d’autant que de nombreux décrets ne sont pas publiés
Un des exemples les plus significatifs de cette évolution est la loi de transition énergétique (LTECV). L’ambition normative de ce texte dépasse la portée des 98 pages et 215 articles de la loi LTECV puisqu’elle renvoie à 11 habilitations à procéder par ordonnance et se réfère à 177 reprises à des décrets d’application, dont 67 fois à des décrets en Conseil d’État (le Code de l’énergie, dans sa version actuelle comporte 136 références à des décrets en Conseil d’État ; la LTECV va augmenter ce nombre de 50%). Le pilotage de la politique énergétique en est ressorti encore plus compliqué avec l’affirmation de 25 objectifs : 7 premiers objectifs, 9 nouveaux objectifs pour atteindre les 7 premiers, sans oublier les 9 objectifs quantitatifs portant sur des sujets aussi divers que les émissions de GES, la part du nucléaire dans la production d’électricité ou les conditions relatives au parc immobilier. La multiplicité d’objectifs ne facilite pas leur hiérarchisation et un trop grand nombre d’objectifs non hiérarchisés entre eux est généralement problématique en termes de mise en œuvre. La quantification d’objectifs avec des dates limites pour les atteindre fait de cette loi bavarde un patchwork qui mêle des articles relevant d’une loi-cadre ou d’une loi-programme plus que d’une véritable loi et des articles très précis dont certains relèvent vraisemblablement du règlementaire plutôt que du législatif
Cette situation justifierait de poser une règle simple : imposer que tout nouvel article législatif ou réglementaire doive s’accompagner de l’abrogation de deux, voire trois articles, en prenant la précaution que la règle ne soit pas contournée par un allongement des articles. Une inflexion serait introduite dès la prochaine législature
-        Revisiter les différents codes et plus particulièrement ceux du travail, de l’urbanisme ou de l’habitat, y compris dans leur partie réglementaire.
-        Veiller à la réalisation d’une étude d’impact préalable pour justifier toute disposition législative. La crédibilité de l’étude d’impact réalisée pour la LETCV a été fort justement mise en cause. Or les dispositions actuelles ne permettent pas de s’assurer de la pertinence d’une étude d’impact (selon loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, la Conférence des présidents de l’assemblée sur le bureau de laquelle le projet de loi a été déposé dispose d’un délai de dix jours suivant le dépôt pour constater que les règles relatives aux études d'impact sont méconnues). Il convient donc qu’une nouvelle loi organique instaure une obligation de vérifier la pertinence de telles études d’impact, tâche qui pourrait être effectuée par la Cour des comptes.




E. DONNER UN NOUVEL ELAN AU PROJET EUROPEEN

I. Repenser le projet européen

L’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche bouscule l’Europe. En critiquant Angela Merkel et sa politique d’accueil des migrants, en saluant le Brexit, en affirmant que le vieux continent est dominé par l’Allemagne, en répétant que l’Europe doit participer au financement de sa défense, il nous interpelle, tout comme Vladimir Poutine lorsqu’il annexe la Crimée, soutient les séparatistes de l’Est ukrainien ou sauve Bachar El Assad, au prix de massacres de populations.


Face à un monde de plus en plus dangereux et compétitif, nous avons besoin d’une Europe forte. Face aux blocs nord-américain, chinois et russe, nous avons besoin d’une Europe qui s’affirme.
Cela suppose une nouvelle adhésion des peuples à un projet repensé.


On ne peut plus se contenter d’évoquer les 70 ans de paix que nous venons de connaître ou les acquis du grand marché européen. Nos concitoyens, notamment les plus jeunes, attendent plus de l’Europe, en termes d’ambition et de protection. Il faut notamment être attentif aux populations qui ne perçoivent pas facilement les intérêts de l’intégration européenne : jeunes non étudiants, exclus d’Erasmus ; familles modestes, qui ne voyagent pas ; métiers victimes de la concurrence de pays européens à faibles coûts, etc.

1. Faire du Brexit une opportunité

Il n’est plus temps de regretter le Brexit. Il fournit l’occasion d’une évaluation sérieuse de ses opportunités, pour le reste de l’Union européenne.


La plupart des réponses sont juridiques, institutionnelles et très défensives, donc anxiogènes.
Or, si l’on regarde la situation de façon plus stratégique que tactique, on voit se dessiner une feuille de route qui tire parti du frein que représentaient le Royaume-Uni pour le lancement de nombreuses initiatives de l’Union européenne. Cette feuille de route devrait comporter :
-        Le règlement, dans des délais aussi courts que possible, du Brexit. Ces discussions ne doivent pas se cantonner aux discussions sur la place des Britanniques dans le marché unique. Alors qu’ils étaient partenaires d’un ensemble européen qu’ils pouvaient influencer, ils cherchent, pour continuer d’être écoutés, à renforcer une alliance privilégiée avec les États-Unis et à nouer des accords de libre-échange avec de nombreux pays pour compenser la future perte du marché européen. Cela doit guider nos capacités de négociation. Nous devons cependant aller au-delà et ne faut pas oublier que le Royaume-Uni aura, dans un futur accord de partenariat, un rôle à jouer dans d’autres domaines, par exemple l’Europe de la défense.
-        Le développement de nouvelles initiatives de l’Union européenne, « à la carte », c’est-à-dire rassemblant les pays les plus intéressés, dans le domaine de la défense, de la diplomatie, de la sécurité intérieure, de l’énergie, du développement industriel, etc.

2. Redonner vie aux symboles d’appartenance à l’Union européenne

Nous avons oublié l’Europe des symboles. Les rares progrès enregistrés dans les années 80 ont souffert de deux graves défauts :
-        beaucoup ne s’intéressent qu’aux « CSP+ » (Erasmus, capitales européennes de la culture, passeport unique, etc.) ;
-        en outre, ils ont été suspendus, sur demande du Royaume-Uni qui ne trouvait aucun intérêt à cette « Europe des Citoyens », opposé qu’il était à une « Union sans cesse plus étroite entre les peuples ».
Notre drapeau, notre hymne, tous nos symboles d’appartenance à une même communauté ont été jetés aux oubliettes. Il est temps, saisissant l’occasion du Brexit, de redonner vie à ces facteurs d’unité, de recréer l’Europe des symboles et des solidarités concrètes, pas seulement économiques, mais aussi celles tirées d’une Histoire commune et de valeurs partagées, enfin de créer des occasions de rassembler qui ne soient pas limitées aux minorités privilégiées.

3. Renforcer l’euro et lui donner un véritable rôle de monnaie d'échange internationale

Cela suppose d’approfondir la gouvernance de l’Union économique et monétaire, jusqu’à une politique économique et budgétaire mieux coordonnée, y compris dans sa dimension fiscale.


Il faudra pour rassurer les citoyens, expliquer où l’on va, en quoi l’objectif est de nature à améliorer concrètement leur vie. Ainsi, l’assainissement de nos finances publiques n’est pas une fin en soi, mais permet de retrouver des marges de manœuvre pour investir et contribuer à restaurer la puissance de l’économie européenne, donc sa capacité d’influence.
L’UEM doit être rendue plus concrète dans ses mécanismes de fonctionnement (ce qui suppose une participation directe de chaque Etat membre aux processus décisionnel des autres) et dans ses objectifs (croissance et emploi, via l’investissement et la R&D). Rien ne sera possible, aussi longtemps que nous n’aurons pas reconquis le respect que l’on doit à une base économique fondamentalement saine.


Cette renaissance économique est indispensable. La puissance militaire et l’influence politique et culturelle en découleront

4. Renforcer la crédibilité économique de l’Europe pour mettre en œuvre une Politique commerciale plus ambitieuse, apte à rassurer

Le temps est terminé où les équipes de négociateurs pouvaient travailler dans le secret et sans rendre de comptes à personne. A l’heure des réseaux sociaux, il faut renforcer la pédagogie ; le travail d’explication doit mobiliser autant, si ce n’est plus d’efforts que la négociation elle-même. Telle est la condition pour retrouver la confiance des citoyens.


Mais in fine, l’efficacité et la force de conviction de nos négociateurs dépendront largement de notre capacité à impressionner nos partenaires commerciaux dans le monde.
Le critère déterminant du développement des échanges internationaux, indispensable à l’Europe qui demeure, en valeur, le premier exportateur mondial, doit être la réciprocité d’accès aux marchés. Face au « Buy American Act », nous devons être capables d’instaurer un « Buy European Act ». Une riposte efficace et proportionnée aux mesures protectionnistes de l’administration Trump devra aussi être mise en place.

5. S’engager dans une « Europe des Projets » qui rassemblera les seuls États membres intéressés

a) Une action commune en matière de Défense et Sécurité

Face aux menaces, voire aux mises en demeure de Donald Trump, une redéfinition de notre attitude face à l’OTAN. Avant d’y répondre, l’Europe doit être capable de développer une politique globale de défense, avec toutes les composantes armées, des industries de l’armement et une dépense militaire représentant au moins 2 % du PIB.


Investir dans nos forces armées est donc indispensable. Nous ne pourrons pas le faire seuls. De même, nos industries de défense doivent s’unir ou se coordonner pour assurer l’interopérabilité des équipements de nos forces armées, coordonner la R&D et investir face aux risques planétaires, afin de ne pas laisser seule la toute puissance américaine. Cela suppose de revitaliser l’Agence européenne de Défense, que nos amis d’Outre-Manche avaient avec constance refusé de doter de moyens budgétaires significatifs.
Le renforcement de la sécurité intérieure de l’espace européen impose de renforcer la protection de notre territoire, non pour le fermer, mais pour permettre la meilleure intégration des migrants. Cela doit se faire aux frontières de l’espace Schengen en toute première priorité, puis être étendu à l’ensemble du territoire de l’Union, avec un renforcement significatif des moyens mis à disposition de Frontex, l’agence européenne de garde-côtes et garde-frontières. Quand on voit les risques que les candidats à l’immigration sont prêts à prendre et les difficultés auxquels certains pays, comme la Grèce et l’Italie, sont confrontés, l’Europe doit simultanément se protéger, intégrer ces populations et aider les pays de provenance pour mettre fin à l’exode fondé sur des raisons purement économiques.


De même, pour éradiquer la menace terroriste menaçant directement les citoyens européens sur leur lieu de vie, une meilleure coordination de nos services de renseignement et de sécurité est indispensable. Le citoyen, ne comprend pas comment les terroristes jouent à saute-frontières à la faveur de fichiers mal tenus, voire obsolètes. Cela résulte largement d’un refus d’intégration, d’une « non-Europe », écartée sous le prétexte qu’on ne fait pas confiance à ses voisins, voire qu’on ne saurait mettre en commun avec d’autres pays des « éléments de souveraineté ». La logique des « prés carrés » l’emporte sur celle de l’efficacité dans la protection de nos concitoyens.


b) Une vraie politique de développement industriel

Définir et mettre en œuvre une stratégie industrielle européenne n’est plus, aujourd’hui, un sujet tabou. D’ailleurs n’est-ce pas dans ce domaine que l’Europe a réussi ses plus beaux projets, Airbus et Arianespace, notamment ? Que ces initiatives soient nées en marge de l’Union européenne montre bien que son cadre juridique n’est pas ou plus adapté à ce type de coopération et qu’il faut s’orienter vers une Europe à la carte pour développer de nouvelles synergies, notamment dans le domaine des industries de transport, des technologies de l’information et des biotechnologies.


Pour ce faire, l’Europe doit savoir adapter le cadre de ses règles de concurrence, en particulier pour ce qui concerne les aides d’État et le contrôle des concentrations.
Le contrôle des concentrations ne doit pas être utilisé pour brider l’indispensable structuration du tissu industriel européen et la naissance de leaders mondiaux provenant de notre espace économique. Cela suppose que l’autorité européenne de concurrence (rôle qui devrait, à terme, être retiré à la Commission – cf. 6 infra) prenne véritablement en compte la dimension mondiale du marché, dans une vision très prospective qui s’appuie non seulement les forces en présence, mais évalue celles qui se développent, en particulier dans les pays émergents et la Chine. En outre, la réindustrialisation doit être considérée comme une priorité qui pourra justifier l’autorisation d’une concentration nécessaire à la recomposition du tissu économique. Enfin et surtout, lorsqu’il s’agit de projets industriels majeurs et structurants, le dernier mot ne doit pas être laissé à l’autorité de concurrence, quelle qu’elle soit : dans ce cas, un appel doit être possible devant les ministres, qui devront avoir le dernier mot, sur le modèle de ce qui existe aujourd’hui en Allemagne.


S’agissant des aides publiques, l’Europe est dans la situation paradoxale d’être le seul ensemble géographique où elles sont considérées comme illicites par nature. La Commission, encouragée par les juges de Luxembourg, est d’ailleurs allée bien au-delà du texte des traités en décidant de soumettre à son contrôle des mécanismes dont l’impact réel sur les échanges entre États membres n’était nullement établi. À l’heure où la Chine (et bien d’autres pays) subventionne massivement ses industries exportatrices et où Donald Trump est en train d’utiliser tous les moyens, y compris le chantage, pour attirer les investissements et éviter les délocalisations, il est temps de mettre fin à ces déviations qui pénalisent les Européens eux-mêmes. L’idée n’est pas de mettre fin à toute politique européenne des aides d’État, mais de limiter son action aux situations où, par exemple en matière de ruling fiscaux, il sera clairement établi qu’une aide a été mise en place pour organiser une concurrence déloyale entre les États de l’Union européenne. Allant plus loin, nous devrions saisir l’occasion des barrières protectionnistes érigées par l’administration Trump, pour nous en inspirer et riposter par des mesures similaires, afin d’attirer sur le territoire de l’Union, qui constitue le plus grand marché solvable du monde, les investissements internationaux.

c) Une action diplomatique mieux intégrée

L’Europe est absente au monde et n’y pèse, le plus souvent, d’aucun poids. Dans le meilleur des cas, comme en Afghanistan ou contre Daesh, elle sert de supplétif à des actions décidées et dirigées par les USA. Dans le pire, elle est invitée à ne pas intervenir (la Syrie ou, plus généralement, le Moyen-Orient, l’Amérique Latine, l’Asie, etc.). Mieux articuler nos efforts en tant qu’entité représentant 500 millions d’habitants suppose de mettre à plat la question de la permanence d’appareils diplomatiques et consulaires hérités des rapports de forces tissés entre l’époque napoléonienne et la guerre froide, dans une perspective de coordination, puis d’unification, au service d’objectifs communs. L’Europe Souveraine doit être le projet dans lequel s’incarneront les actions de refondation de nos diplomaties et d’intégration de nos forces de défense. On verra alors que la souveraineté partagée est une souveraineté retrouvée.


Pour continuer d’écrire l’histoire, une feuille de route doit être définie qui devrait, au minimum comprendre :

-        Le réexamen de la position vis-à-vis de la Russie. L’Europe doit revoir sa position avec la Russie, et trouver un équilibre entre la fermeté, la coopération et l’évitement d’une nouvelle guerre froide.
-        La mise en place de partenariats stratégiques tant avec le monde arabe qu’avec l’Afrique sub-saharienne. Aider les pays d’Afrique et du Proche Orient à se développer devrait permettre de ralentir l’immigration économique. Aider nos voisins du Sud est le seul moyen durable de ralentir les flux migratoires, tout en stimulant notre croissance économique. Avec ces partenariats stratégiques, l’Europe doit se fixer l’ambition de redevenir le centre de gravité du monde.

d) Une politique européenne de l’énergie mieux intégrée

La politique de l’énergie a été à l’origine de la construction européenne. Dès 1950, la CECA mettait en commun nos ressources en charbon. En mars 1957, était signé le traité Euratom, fondant la Communauté européenne de l’énergie atomique et dont l’article premier prévoyait la promotion des usages civils de l’atome.


Depuis, bien peu a été fait. La CECA, fondée pour 50 ans, est devenue caduque. L’Euratom s’est progressivement transformé en une simple coordination des mesures de sûreté et de radioprotection, avec un volet de recherche, mais sans réelle ambition de développement.
Il est aujourd’hui temps, pour redonner consistance politique et visibilité au projet européen, ainsi que pour résoudre nos problèmes énergétiques eux-mêmes, de miser de nouveau sur les synergies qui peuvent se dégager entre pays de l’Union.


La raréfaction inéluctable des combustibles fossiles, la nécessaire limitation des rejets de CO2, la redéfinition du rôle de l’énergie nucléaire, à la lumière des objectifs de sûreté et de la gestion du risque climatique, imposent plus que jamais la définition d’une stratégie partagée. Il faut cesser les affirmations incantatoires, selon lesquelles chaque pays de l’Union doit demeurer totalement souverain dans la détermination de son bouquet énergétique. Cela n’implique aucunement une uniformisation des politiques, mais dans une meilleure articulation des priorités nationales, afin de définir un modèle européen à moyen et long terme, auquel chaque pays apportera sa contribution, en fonction de ses atouts géographiques et technologiques, dans le respect global des trois objectifs que sont la sécurité de nos approvisionnements, la compétitivité de nos entreprises et le développement durable.
Dans ce cadre, l’Europe devra se doter d’une politique extérieure forte, propre à assurer sa sécurité d’approvisionnement en gaz et en pétrole.


Elle devra aussi se munir des moyens d’une lutte efficace contre les émissions de carbone. Le système actuel des quotas de CO2, attribués en nombre trop important, est inapte à remplir sa mission.
La politique de concurrence doit être revue afin de faciliter l’émergence d’un véritable marché européen unifié, et non avec l’objectif limité d’ouvrir chaque marché national indépendamment des autres. Elle doit aussi être réorientée pour faciliter la conclusion de contrats de long terme, sur l’initiative des autorités publiques, comme dans le cas de Hinkley Point, mais également pour faciliter les accords d’approvisionnement entre gros consommateurs d’énergie et leurs fournisseurs. C’est à ce prix que pourront être dégagées de nouvelles possibilités d’investissement dans une industrie où les temps de retour sont de l’ordre de plusieurs dizaines d’années. Par ailleurs, les mécanismes de soutien à certaines EnR, comme la priorité qui leur est accordée pour l’accès au réseau, devront être revues lorsque leurs effets de déflation sur les prix paralyseront les capacités d’investissement.
En un mot comme en cent, il faut redonner une vision de long terme à la politique énergétique européenne et ne pas se contenter d’une politique de court terme, se focalisant essentiellement - avec des effets forts limités au demeurant - sur les bénéfices escomptés pour le consommateur final.


Cette politique ne sera certainement pas conduite dans le cadre des 27. Si les mécanismes du marché unique de l’énergie doivent être préservés, une « Europe de l’Énergie », à géométrie variable, devra être envisagée pour conduire des projets de R&D et de développement d’infrastructures.

6. Réformer le schéma institutionnel

Une telle refondation ne sera pas acceptable pour l’ensemble des 27. Les « coopérations renforcées, telles qu’elles sont prévues par les traités, ne suffiront pas, compte tenu des mécanismes autobloquants dont on les a assorties, depuis le Traité d’Amsterdam à la fin des années 90.


Elle doit donc, en premier lieu, engager un groupe limité de pays, par exemple des premiers fondateurs, Allemagne, Italie, Benelux et France, ouvert à quelques autres (notamment l’Espagne), sous réserve d’un engagement politique ferme de se plier à la discipline commune et aux choix majoritaires. N’y aurait-il qu’un accord politique franco-allemand que cela aurait l’effet d’un électrochoc, comme en 1989 lorsque nos deux pays ont décidé de lancer le projet Euro.
Nous ne devons pas hésiter à proposer de réformer fondamentalement le patchwork institutionnel et administratif qui rend l’Europe si étrangère à ses peuples et si difficile à réformer.


La première grande réforme qu’il faudra d’ailleurs engager, face à une Europe souvent paralysée par le moins-disant, sera donc d’encourager les groupes pionniers, les actions entre États membres désireux de s’engager de façon plus ambitieuse. Les dernières réunions du Conseil européen semblent, enfin, voir émerger des propositions dans ce sens, sous l’impulsion de Madame Merkel. Il faut les concrétiser, les ancrer rapidement dans la réalité.
Le Brexit fournit l’occasion d’une modification des traités que rien n’interdit de saisir, pour obtenir les avancées suivantes :


-     Une véritable ouverture à des actions « à la carte », ouverte aux états membres intéressés, avec leurs propres mécanismes de décision et de financement, en mare des Traités, voire en articulation avec les institutions de l’Union, si cela apparaît utile et sous réserve de l’acceptation de ceux qui ne sont pas parties à ces projets (sur le modèle de l’euro) ; mais aucune condition restrictive quant au nombre de pays, quant aux populations couvertes ou quant à la nature de ces coopérations, ni aucun droit de véto accordé à un non-participant ou à une institution de l’Union ;
-     Une refonte du mode d’élection des parlementaires européens qui doivent trouver une légitimité au-delà des partis politiques nationaux sur la base desquels ils sont élus ; cela peut se faire, soit via des circonscriptions transnationales, soit avec un pourcentage minimum (de l’ordre du tiers, pour être vraiment significatif) de sièges attribués à des non nationaux 
-     La restructuration de la Commission qui doit redevenir une autorité politique, réellement soumise aux parlementaires élus, mais aussi réellement dotée de compétences exécutives, quitte à la priver de certains pouvoirs de régulation, comme le rôle d’autorité de la concurrence ; on ne peut pas revendiquer le statut d’autorité politique et se vouloir le garant de la comitologie bruxelloise 
-     Le refus, partout où une action européenne sera considérée comme plus efficace qu’une action nationale, du dogme de la souveraineté nationale qui n’est, souvent, qu’un prétexte pour que des administrations ou d’autres corps constitués, publics ou privés, conservent leurs zones de pouvoir ; a contrario, s’il est établi qu’une action nationale ou locale est plus efficace, refus d’une action européenne, voire démantèlement de celles qui avaient été mises en place ;
-     Chaque fois que la souveraineté partagée apparaîtra comme une souveraineté retrouvée, aucun pays ne devra pouvoir, à lui seul, bloquer un progrès vers une Europe plus forte et mieux intégrée. La majorité qualifiée doit prévaloir, en fiscalité et dans la sphère diplomatique, comme pour les accords commerciaux.
Une telle volonté de réforme ne pourra pas laisser indemnes nos processus décisionnels nationaux. 34 000 communes, 95 départements, une quinzaine de régions, deux chambres parlementaires et un CESE, une foultitude d’intervenants dans le moindre processus interministériel, tout cela mérite également d’être remis à plat. Une première réforme, dans notre pays, qui permettrait à la France de marquer véritablement sa volonté de contribuer à la création de ce nouveau projet européen, serait la création d’un poste de « Ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes ». Ce Ministre ou Ministre d’État recevrait, par délégation du Premier Ministre, un pouvoir d’arbitrage interministériel (sous réserve d’une faculté d’évocation auprès de ce dernier), afin de préparer les réformes nécessaires, y compris du point de vue institutionnel interne. Une telle réforme n’aurait rien d’un « mécano » politicien mais poursuivrait deux objectifs fondamentaux : introduire une vraie innovation dans le processus de décision gouvernemental, en facilitant le fonctionnement de l’interministériel pour toutes les décisions qui concerneront ce qui devrait être l’un des axes forts de la politique du futur Président de la République ; marquer les esprits en montrant, aussi bien en interne que vis-à-vis de nos partenaires, que les affaires européennes ne sont plus des affaires étrangères.



F. MORALISER LA VIE PUBLIQUE

L’effort de moralisation de la vie politique est urgent.


Il doit plutôt faire l’objet d’une ordonnance[2], suivant une loi d’habilitation qui devra être adoptée dès l’entrée en fonction de la nouvelle Assemblée nationale. En effet, un débat parlementaire sur ce sujet, qui ne semble nullement opportun, occupera de longues semaines de l’ordre du jour, avec une opposition qui fera assaut de « flibuste ».


Dans ce cadre, les priorités suivantes devront être respectée.

I. Doter le législateur des moyens nécessaires à sa mission dans le respect de la transparence et de la bonne gestion des deniers publics

1. Renforcer les règles interdisant le cumul

La loi contre le cumul des mandats doit être renforcée et étendue y compris aux sénateurs, qui ne doivent pas plus que les députés, se considérer comme des législateurs à temps partiel.

2. Des moyens d’action suffisants doivent leur être fournis, de façon transparente

a) Transparence de la rémunération et des avantages y afférents

Il ne faut pas faire des parlementaires des boucs émissaires. Leur rémunération n’est pas excessive, comparée aux autres démocraties occidentales. On pourrait d’ailleurs utilement procéder à un benchmarking pour en tirer des enseignements.


En revanche, doivent être supprimés :
-        Le régime spécifique en matière de retraite de base (l’unification des régimes de retraite général et spéciaux facilitera la tâche) ; rien n’interdira aux intéressés, s’ils le souhaitent, de contribuer à l’un des régimes complémentaires existant pour les salariés ;
-        Tout avantage fiscal subsistant ;
-        L’enveloppe mensuelle de frais de mandat, dont une partie (par exemple 50%) devra être intégrée dans la rémunération de base, l’autre étant restituée aux services généraux de l’Assemblée nationale et du Sénat, pour rembourser, sur justificatifs, les frais effectivement supportés (comme tous les salariés, dirigeants compris et les indépendants).

b) Les collaborateurs parlementaires

Il est normal de fournir aux parlementaires les moyens humains leur permettant de travailler efficacement. Dans plusieurs démocraties, par exemple aux USA ou chez certains de nos voisins européens, le nombre de collaborateurs personnels des parlementaires est sensiblement plus élevé qu’en France. Il n’y a aucune raison de donner moins de moyens au législateur français, a fortiori lorsque l’interdiction du cumul leur interdira de bénéficier des moyens mis à disposition par les collectivités territoriales.


En revanche, ces assistants n’ont aucune raison d’être des salariés directs du parlementaire, dans la plus grande opacité. Ils doivent être dotés d’un statut, rémunérés par l’assemblée concernée, sur la base d’une grille tenant compte de leur qualification.



G.  PROPOSITIONS DIVERSES

I. Pour un dictionnaire du « Français universel »

De l’Océanie au cercle arctique, on trouve des peuples francophones. La langue française les unit mais aussi - comme on a pu le dire des Britanniques et des Etasuniens : « deux peuples qu’une même langue sépare » - elle les différencie. Ils parlent français mais lequel ? Celui de Montréal, celui de Kinshasa, celui du 6ème arrondissement de Paris, celui des quartiers Nord de Marseille ? Présent à l’échelle mondiale, le français est divers. A la rigueur grammaticale et sémantique de nos académiciens s’ajoutent l’inventivité, la créativité des locuteurs de Dakar, de Tunis, de Manicouagan, de Pondichéry, de Tahiti.


Il y a bien un dictionnaire officiel de la langue française, celui de l’Académie qui, outre le rythme de son avancement, reste centré sur le français central malgré la présence de quelques académiciens originaires de pays francophones autres que la France.
Nous proposons que, comme le fit l’abbé Grégoire sous la Révolution, soit engagé un travail de recension, de compilation du français dans toute sa variété, dans toute sa créativité. L’objectif : un « Trésor universel du français ». Il serait sous la responsabilité de l’Organisation internationale de la Francophonie et devrait, sous la direction de linguistes originaires de toute la francophonie bénéficiant d’une reconnaissance académique incontestable et associant à leur travail des francophones de toutes origines, de tous milieux pour assurer la plénitude de cette ambition.



Participants au groupe de réflexion :



Edith Cresson



Manuel Bamberger


Wenceslas Baudrillart


Brigitte Bornemann


Gilles Dabezies


Olivier Lluansi


Jean-Marc Ouazan


Jean-Paul Tran Thiet


Dov Zerah



N.B. : certains participants n'ont pas souhaité que leur nom apparaisse, en raison des fonctions qu'ils exercent





[1] Adwen, filiale commune entre Gamesa et Areva pour concevoir la plus grande éolienne offshore d’Europe, fait partie de Siemens-Gamesa depuis le 3 avril 2017.
[2] À l’automne 1958, plusieurs ordonnances portant loi organique ont été adoptées.

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